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Les Bibliothèques de la Ville de Lausanne, 90 ans d'histoire(s)

Le 15 novembre 1934, la bibliothèque municipale et sa salle de lecture étaient inaugurées à la rue des Terreaux 33. Retour sur l’histoire ponctuée de défis de cette institution motivée, encore et toujours, par ses missions de promotion du livre et de la lecture publique.

Une bibliothèque de lecture publique, un projet datant de 1872

«J’ai confiance que les membres de ce Conseil, sans distinction de partis, voudront contribuer à mettre à la portée des classes laborieuses, de bons livres, ce qu’on a appelé, suivant un mot heureux, «'le pain de l’intelligence'.» (1) Ce pain-là, Émile Bonjour, Conseiller communal lausannois, souhaite le servir en 1897 déjà. Le projet n’est pas inédit. La première tentative documentée pour créer une bibliothèque de lecture publique remonte à 1872 et revient au Municipal David Braillard. Malgré un bon accueil et même l’ouverture d’une petite souscription, elle n’aboutira cependant pas. 25 ans plus tard, la souscription a disparu, pas l’ambition.

À la fin du 19e siècle, alors que la plupart des grandes communes du canton sont dotées de bibliothèques publiques, l'importante offre culturelle et le développement de la presse à bon marché expliqueraient l’inexistence de ce service dans la capitale vaudoise. Mais peu importe les explications: pour Émile Bonjour et ses motionnaires, qu’une ville - d’alors 40'000 habitants - ne dispose pas d’un tel établissement demeure incompréhensible. D’autant que Lausanne grouille de bibliothèques spécialisées: de l’union chrétienne, de la société de médecine, des jeunes commerçants, des beaux-arts, du club alpin, d’horticulture, etc. Mais comme le souligne la motion: «aucune n’est à la portée de tous, absolument publique, absolument gratuite» (2).

Quant à la bibliothèque cantonale et universitaire, la position est limpide: «Nous doutons fort que l’ouvrier, l’artisan, le petit négociant, le patron même, trouve un grand profit à la fréquentation de la Bibliothèque cantonale. (…) Les œuvres d’un intérêt plus immédiat, et plus pratique pour l’ouvrier et l’artisan, n’y trouvent guère place.» (3) Et de conclure «ce qu’il faut donc, c’est créer à Lausanne une véritable bibliothèque du peuple, ouverte à tous, facilement accessible, où le travailleur puisse se procurer de la lecture, dans un choix d’ouvrages sérieux ou aimables, utiles ou récréatifs». (4) Et puis plus rien, 35 longues années durant. 

La donation de Jean-Jacques Mercier et l'ouverture au public

C’est à la faveur d’une généreuse donation, à la fin 1932, que la motion de 1897 est exhumée. Le Lausannois Jean-Jacques Mercier, mécène, politicien et homme d’affaires, vient de décéder. Pour souligner son attachement à sa ville, selon ses souhaits, sa famille lègue 50'000 CHF en vue de la création d’une salle de lecture. Rattachée à cette salle de lecture qui portera logiquement le nom de son généraux donateur, la première bibliothèque municipale est inaugurée le 15 novembre 1934, à la rue des Terreaux 33, au rez-de-chaussée de l’école des Jumelles. Renée Messerli, licenciée en sociologie et bibliothécaire diplômée, en sera la première cheffe.

À son ouverture au public le 17 novembre, la bibliothèque municipale, longtemps surnommée la BM, compte 3'500 ouvrages. Le réseau des Bibliothèques de la Ville, comparativement, recense aujourd’hui plus de 222'000 documents. Le règlement d’alors autorise l’emprunt de 2 livres à la fois. Mais parmi ces 2 ouvrages, seul 1 roman. Sous couvert de loyauté concurrentielle vis-à-vis des librairies se trouve un hygiénisme intellectuel à peine déguisé, comme en témoigne ce commentaire du motionnaire Bonjour, toujours: «L’unique lecture de romans et d’œuvres d’imagination pure ne suffit pas au développement de l’individu; il faut fournir à la population ouvrière, à côté d’œuvres purement récréatives, un aliment plus substantiel». (5)

La nécessaire éclosion des succursales

Très vite, la bibliothèque municipale est victime de son succès. Au sortir de la Seconde guerre mondiale, 21'000 personnes y sont inscrites et 14’500 livres sont proposés en prêt. Mais grâce à la construction du collège Druey libérant des espaces à la rue des Terreaux 33, la BM dispose dès l’automne 1945 de deux étages supplémentaires, l’un d’entre eux étant dédié à la toute première section jeunesse.

Elisabeth Rochat, qui succède à Renée Messerli à la direction, se félicite de cet agrandissement, mais plaide dès sa nomination en 1943, et tout au long de son mandat, pour le développement indispensable des succursales. En 1959, à l’occasion des 25 ans de l’institution, elle l'appelle clairement de ses vœux: «La BM possède maintenant plus de 30'000 livres et se trouve de nouveau à l’étroit. (…) Je fais confiance aux autorités lausannoises, qui se sont toujours montrées compréhensives et généreuses à notre égard, pour assurer et poursuivre l’heureux développement de cette institution.» (8)

Ironie du sort, c’est en 1968, une année après qu’elle ait quitté ses fonctions, que naît la première succursale: celle de Montriond. La première, vraiment? En janvier 1964, le bibliobus est mis en service, le deuxième de Suisse. Doté de 5’000 livres, il dessert les quartiers périphériques. En une année d’exploitation, son volume de prêts avoisine les 70'000 livres, soit presque la moitié de celui de la bibliothèque sise aux Terreaux 33, toutes sections confondues. Un vrai besoin est comblé. Le développement ultérieur des succursales dans les différents quartiers explique en partie pourquoi, en 2023, le bibliobus ne compte plus que 213 lectrices et lecteurs actifs, qui l'attendent cependant toujours avec impatience.

Malgré l’émergence, dès la fin des années 1960, des succursales de Montriond et d’Entre-Bois, la bibliothèque municipale manque toujours de place. La construction du grand complexe de l’administration communale à la place Chauderon sera l’occasion d’y remédier. Le 3 décembre 1973, la BM inaugure ses nouveaux locaux au numéro 9, un étage dédié à la section jeunesse, un autre aux adultes.

Une institution en constante mutation

Les années 1980 voient se dessiner de nouveaux défis: un déménagement dans les locaux actuels à la place Chauderon 11 (1984), ainsi que le massif dossier de l’informatisation de la bibliothèque municipale (1989). C'est également la période où des genres considérés comme mineurs trouvent enfin une vraie place en lecture publique: la bande dessinée, la science-fiction, la littérature fantastique, le roman noir et policier. De 1980 à 2002, sous la direction de Pierre-Yves Lador, amateur et défenseur de ces genres, les collections s’enrichissent au point que celle de la BD devient l’une des plus importantes d’Europe.

Les années 2000 sont marquées par plusieurs grands mouvements: l’ouverture de la Bibliothèque Jeunesse à l'avenue d'Echallens (2001), la fermeture - non sans bruit - du site de Mon-Repos (2006), l’ouverture des succursales de Chailly (2009) et de la Sallaz (2016). Mais aussi la place de plus en plus importante que prend la médiation au sein des Bibliothèques de la Ville, dans la foulée d’un mouvement de fond international plébiscitant les bibliothèques troisième lieu.

Au fil du temps, les contours des Bibliothèques de la Ville de Lausanne n’ont cessé de bouger et de se redéfinir. Ce qui perdure inchangé, c’est l’engagement des bibliothécaires que saluait déjà Elisabeth Rochat en 1951, à travers les mots de Pierre Bourgeois, alors Président de l’Association des bibliothécaires suisses: «Le lecteur ne se doutera jamais de la somme de travail minutieux et souvent ingrat accompli pour lui donner satisfaction. Le catalogue le mieux fait lui semblera la chose la plus naturelle du monde et il n’aura pas une pensée, en le consultant, pour les innombrables heures de labeur patient, obstiné qui l’ont fait naître». (9)

«Après une assez longue discussion, la commission décide d’éliminer les candidatures masculines, ce particulièrement pour la raison suivante: le poste en question est un très beau poste pour une femme qui peut y consacrer sa carrière entière, tandis qu’il serait plutôt médiocre pour un homme dont on exige de longues études et qui risquerait de chercher très tôt une situation plus avantageuse.» (6)

Le 22 septembre 1933, parmi 86 candidatures reçues, 8 candidates et 4 candidats sont encore en lice pour le poste de bibliothécaire de la future bibliothèque municipale. Les arguments de la sélection finale disent sans vernis l’ampleur des stéréotypes de genre. La profession de bibliothécaire reste partiellement marquée par le poids de ces déterminismes, bien que la courbe tende progressivement à se lisser. Aujourd’hui, les Bibliothèques de la Ville de Lausanne emploient en moyenne 70% de femmes pour 30% d’hommes.

Les premiers effets de la guerre se font sentir dans le rapport de gestion de 1940 où la diminution drastique des périodiques est notifiée. Dans le rapport de 1942, malgré l’obscurcissement de la ville dès 20h pour se protéger des vols de nuit des armées étrangères, la bibliothèque municipale maintient l’ouverture habituelle jusqu’à 22h. Dans ce même rapport, elle privilégie la sortie des livres, même rares, plutôt que leur rétention. En somme, tout au long de la guerre, l'institution garantit le service au public avant tout, comme en témoigne cet extrait: «La principale difficulté rencontrée au cours de l’année a rapport au marché actuel des livres. (…) Certains ouvrages de base, connus et appréciés, font défaut. D’où une série de livres recherchés pour leur rareté présente. Le problème se pose de savoir si, possédant de tels livres, la bibliothèque va les laisse circuler avec risque de perte, ou bien les mettre à l’abri et qu’ils ne servent plus. Cette dernière solution, bien qu’évidemment la plus facile, semble opposée à l’esprit d’une bibliothèque qui n’est pas de conservation, mais de circulation (...). C’est pourquoi, malgré le risque et la crainte de perdre ces ouvrages, nous ne les avons pas retirés de la circulation.» (7) Par contre, nulle part il n’est fait mention du courrier du 27 novembre 1941, émanant de la police de sûreté du Canton de Vaud, sur ordre du Ministère Public Fédéral, intimant la bibliothèque de ne pas promouvoir la littérature communiste.

Sources

  • (1) Bibliothèque populaire gratuite. Développement de la motion MM. Bonjour et consorts. Séance du 11 octobre 1897. Archives de la Ville de Lausanne, fonds de la Bibliothèque municipale, adm-c19-10-1 (boîte 9058).
  • (2) idem, séance du 11 octobre 1897.
  • (3) idem, séance du 22 novembre 1897.
  • (4) idem, séance du 11 octobre 1897.
  • (5) dem, séance du 22 novembre 1897.
  • (6) Procès-verbaux, 1932-1991. Procès-verbal 1933. Archives de la Ville de Lausanne, fonds de la Bibliothèque municipale, procès-verbaux, 1932-1991, adm-c19-10-1 (boîte 9065).
  • (7) Rapports, 1934-1993. Rapport de gestion 1942. Archives de la Ville de Lausanne, fonds de la Bibliothèque municipale, adm-c19-10-1 (boîte 9065).
  • (8) 25e anniversaire de la Bibliothèque nunicipale, 1959. Archives de la Ville de Lausanne, fonds de la Bibliothèque municipale, adm-c19-10-1 (boîte 9061).
  • (9) Rapports, 1934-1993. Rapport concernant la formation professionnelle du personnel de la Bibliothèque Municipale. Archives de la Ville de Lausanne, fonds de la Bibliothèque municipale, adm-c19-10-1 (boîte 9065)

Muriel Jost

Les dates clés de la bibliothèque municipale

  • 17.11.1934: ouverture de la bibliothèque et de la salle de lecture Jean-Jacques Mercier à la rue des Terreaux 33, au rez-de-chaussée de l'école Les Jumelles;
  • 4.10.1945: agrandissement et ouverture de la section jeunesse;
  • 16.1.1964: mise en service du bibliobus, première station à Montchoisi;
  • 15.3.1968: ouverture de la succursale de Montriond;
  • 12.9.1969: ouverture de la succursale d’Entre-Bois;
  • 3.12.1973: déménagement des sections adultes et jeunesse de la rue des Terreaux 33 à la place Chauderon 9;
  • 26.8.1974: ouverture de la succursale de Mon-Repos;
  • 8.11.1976: ouverture de la succursale de Grand-Vennes;
  • 3.12.1984: déménagement des sections adultes et jeunesse de la place Chauderon 9 à la place Chauderon 11;
  • 3.09.2001: ouverture de la Bibliothèque Jeunesse à l'avenue d'Echallens 2a, libérant de l'espace pour la section adultes, qui reste à la place Chauderon 11;
  • 22.12.2006: fermeture de la succursale de Mon-Repos, malgré une pétition et le soutien de plusieurs élues et élus;
  • 20.4.2009: ouverture de la succursale de Chailly;
  • 4.1.2016: ouverture de la succursale de la Sallaz et fermeture de celle de Grand-Vennes.

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