Voyage au pays de Bécassine, des Pieds Nickelés et autres héros de la presse enfantine d’antan
Le Centre BD de la Ville de Lausanne est de sortie à l’occasion du festival BDFIL 2023! L’exposition, intitulée «Quel est ton genre de BD? Le dessin et la BD dans la presse enfantine illustrée du début du XXe siècle», raconte l’histoire de la presse enfantine des années 1900 à 1960. Avant-goût par Sophie Pujol, responsable du Centre BD.

«Tintin et Milou au Congo» (Hergé), Cœurs Vaillants n°52, 1932

«Jim la Jungle» (Alexandre Raymond), Le Journal de Mickey n°4 du 4 novembre 1934

«Luce et Cie» (Ty-Ya et Ya-Ty), Âmes Vaillantes n°3 du 23 décembre 1937

«Dolly la poupée aux cents têtes /9. Leçon de mode» (Grand Aigle), Bernadette n°448 du 31 juillet 1938

Couverture, Lisette n°1 du 12 mai 1946

«J’aide Maman», Lisette n°1 du 12 mai 1946

«Un ventre plat et harmonieux», Vaillante n°24 du 3 juillet 1947

«Jim Boum dans la piste infernale», Coq Hardi n°69 du 17 juillet 1947

«L’espiègle Lili travaille» (Bernadette Hiéris et Al. G.), Fillette n° 128 du 20 décembre 1951

« Mort et résurrection de Placid. Avec Muzo et le professeur Grostalent» (Pierre Olivier et José Cabrero Arnal), Vaillant n°369 du 8 juin 1952

«Lucette chez les éléphants», Bernadette n°487 du 1er avril 1956

Couverture, Pilote n°136 du 31 mai 1962

«Une malade à la maison? La chic fille s’en occupe!», Line n°408, 1963
Bécassine, l’Espiègle Lili les Pieds Nickelés ou encore Tintin: autant de personnages qui voient le jour dans des journaux illustrés paraissant entre 1905 et 1929. Au travers de leurs personnages, les dessinateurs et dessinatrices s’adressent alors au plus jeune des publics en âge de savoir lire, soit les 7 à 13 ans. Si l’intention commerciale est évidente, elle côtoie celle de transmettre des valeurs et des messages qui varient en fonction des maisons de presse et de leur appartenance politique. Grace à une passionnante sélection de périodiques issue du fonds patrimonial du Centre BD de la ville de Lausanne, l’exposition «Quel est ton genre de BD? Le dessin et la BD dans la presse enfantine illustrée du début du XXe siècle» permet de comprendre le développement de la presse enfantine depuis sa création, autour de 1900, jusqu’aux années 1960.
A travers la découverte de cette industrie culturelle, c’est l’usage des histoires en images, autrement dit de ce que l’on appellera un jour communément de la bande dessinée, que le public, qu’il soit familial ou adulte, est invité à observer. Le medium y est utilisé de façon variée, dans ses contenus comme dans sa forme, et change progressivement jusqu’aux années 1960. Cependant, la bande dessinée reste longtemps considérée comme une sous-littérature et est utilisée avec beaucoup de modération par certains éditeurs. Ceux-ci, nombreux, détiennent souvent plusieurs titres de presse afin de s’adresser différemment tant aux filles qu’aux garçons. Cette répartition genrée de la presse enfantine, premier media de masse historique destiné à l’enfance, contribue à véhiculer et renforcer les stéréotypes sexistes communément admis par la société avant les mouvements sociaux des années 1960.
La volonté éditoriale étant avant tout d’éduquer et non de divertir les enfants, les contenus proposés à la jeunesse reflètent le modèle social, moral et politique de l’époque. Parmi les périodiques catholiques «pour filles», l’exposition présente des exemples de La semaine de Suzette (publié de 1905 à 1960) et de Bernadette (1914 à 1963): deux magazines qui non seulement donnent dans le prosélytisme religieux mais œuvrent à la bonne éducation des jeunes filles et au maintien des valeurs morales occidentales. Les éditions «pour filles» ne sont pas uniquement investies par des intérêts catholiques: ainsi, les revues Fillette et Lisette (publiées de 1909 à 1963 et de 1921 à 1973) concentrent leur propos sur la bonne éducation des jeunes filles à leurs futurs rôles de femmes au foyer et de mères.
Toutes ces publications destinées au genre féminin usent toutefois fort peu du medium de la bande dessinée. Ce dernier (qui ne se nomme toutefois pas encore ainsi) se développe bien davantage dans les titres destinés aux garçons. La comparaison entre la version féminine et la version masculine des publications jeunesses de la plupart des éditeurs est frappante: Bernadette et Bayard aux éditions de la Bonne Presse, Lisette et Pierrot aux éditions Montsouris, Fillette et l’Epatant et L’Intrépide aux éditions Offenstadt, Âmes Vaillantes et Cœurs Vaillants aux éditions Fleurus Presse ou encore Vaillante et Vaillant soutenus par le mouvement communiste et que l’on connaît encore aujourd’hui sous le nom de Pif Gadget.
Les bandes dessinées diffusées dans ces revues mettent très souvent en avant une morale citoyenne ou chrétienne ainsi que des personnages extrêmement stéréotypés, que ce soit par le genre, l’ethnicité ou la classe sociale. Aujourd’hui que ces représentations ont largement été déconstruites, nous lisons des inégalités de traitement où les lecteurs et lectrices de l’époque voyait une représentation réaliste et légitime du monde. Si cette lecture anachronique est intéressante, c’est qu’elle nous pousse à nous questionner sur ce que produisent les médias actuels du récit et de l’image, de la bande dessinée à la TV en passant par les réseaux sociaux.
A noter également que de nombreuses autrices et dessinatrices sont alors actives dans le domaine, surtout dans les périodiques pour filles. Contrairement à certains de leurs confrères, elles resteront dans un certain anonymat après les années 1940, lié en partie au succès des séries, au caractère plus divertissant, destinées plus massivement à un lectorat masculin.
Cette production foisonnante génère une stimulante concurrence dans le paysages des revues françaises d’alors, ce qui a participé au développement de la bande dessinée, et ce bien que ce genre soir considéré par les autorités religieuses et politiques de l’éducation comme une dégradation morale (car trop divertissante) et intellectuelle (car pas assez littéraire).
Les documents objets exposés permettent de découvrir de manière ludique et pédagogique un volet de la richesse du Centre BD de la Ville de Lausanne. Une part importante de la présente exposition est issue du fonds du collectionneur et bédéphile Victor-Yves Ghebali (1942-2009), qui contient notamment un corpus unique de plus de 1'000 titres de périodiques, des années 1900 à 1960, destinés à la jeunesse, dont une rare collection de revue spécifiquement destinées aux jeunes filles.
Ce n’est pas un hasard si «Astérix le Gaulois», scénarisé par René Goscinny et dessiné par Albert Uderzo, naît le 29 octobre 1959 dans le 1er numéro du journal français Pilote, avec le succès immense que l’on sait: dès les années 1960, la société change et remet en question les valeurs nationalistes et patriarcales jusqu’alors acceptées. Les éditions pour jeunes garçons et jeunes filles, aux lignes éditoriales centrées sur la moralisation et sur une éducation genrée, perdent l’intérêt de leur lectorat qui aspire à plus de libertés. Sur le marché, cela se reflète par le succès de publications contenant davantage de bandes dessinées et surtout de séries d’aventures de style et d’origine américains. Libérés des lignes éditorialistes éducatives, créatrices et créateurs s’emparent avec gourmandise de cette liberté nouvelle. Mais ceci est une autre histoire!
Sophie Pujol
Exposition du Centre BD de la Ville de Lausanne
Le Centre BD de la Ville de Lausanne, deuxième plus grand fonds patrimonial d’Europe dédié au neuvième art, ouvre à nouveaux ses tiroirs et ses précieuses collections pour BDFIL. Cette année, il propose une mise en lumière des illustrés et magazines pour la jeunesse – en particulier ceux destinés aux fillettes.
Cette exposition présente de nombreux illustrés et magazines du début du XXe siècle jusqu’à nos jours. Elle est l’occasion de révéler la place et le rôle de ces publications dans l’édification morale de la jeunesse, mais aussi de questionner les labellisations éditoriales et les stéréotypes véhiculés. En mettant à l’honneur le parcours d’autrices oubliées de la bande dessinée, elle interroge les rôles et les genres dévolus aux créatrices.
Ce projet ne pouvait se faire ailleurs qu’à Lausanne. En effet, l’une des particularités des collections du Centre BD de la Ville est de posséder un fonds rare d’illustrés et de périodiques à destination des fillettes – des productions considérées par les spécialistes d’hier comme de second ordre et dont la conservation n’importait que peu ou pas. Le fait qu’ils aient été conservés à Lausanne participe à faire aujourd’hui du Centre BD de la Ville l’un des fonds de bande dessinée les plus précieux au monde.
Où | ||
Quand | du 1er au 14 mai 2023, horaires et billetterie sur le site de BDFIL | |
Public | tout public |
Le Centre BD de la Ville de Lausanne
Service des bibliothèques et archives
Rue du Maupas 47
1004 Lausanne
Bus: tl 3, 21: St-Roch; tl: Chauderon
LEB: Chauderon