Voyager entre la Suisse et l’Ukraine sans quitter Lausanne

Au menu de janvier? «La langue ukrainienne» et «L’histoire des montres suisses». En février? «Le patrimoine littéraire ukrainien» et «Othon III de Grandson, diplomate et poète». En mars, «Voyage musical en Ukraine» et «Histoire de la médecine en Suisse». Cerise sur le gâteau: toutes ces rencontres sont bilingues français et ukrainien, car destinées autant au public local qu’aux nouveaux venus d’Ukraine.

Derrière ce programme original et alléchant qui vous attend à la Bibliothèque Chauderon à Lausanne tout au long de l’année 2023, un groupe de femmes attachantes, créatives et dynamiques réunies à l’enseigne de l’association Together.

On les rencontre un mardi dans une salle de la Maison de Quartier Sous-Gare à Lausanne. Elles sont cinq ce soir, soulagées d’avoir enfin un chez elles. Chez elles dans tous les sens du terme: un foyer pour passer l’hiver loin des bombes et de la guerre qui fait rage en Ukraine, et un pied-à-terre pour leur jeune association. Elles sont trois Daria -  Daria Zalesskaya, Daria Shevchenko et Daria Vorobieva - et deux Olga - Olga Ho et Olga Zhurova. «Ce sont des prénoms très répandus chez nous», sourit en ukrainien Daria Vorobieva, traduite par l’une des deux Olga. Daria Vorobieva est la présidente de Together. Il y a huit mois, aucune d’entre elles ne se connaissait. La guerre en Ukraine les a poussées dans les bras les unes des autres. Toutes se sont rencontrées au printemps 2022 par l’intermédiaire de Madina Kukenova, professeure d’économie à Lausanne, installée en Suisse depuis une vingtaine d’année. Bénévole à l’accueil de réfugiés dans le canton, Madina s’est entourée d’autres russophones, telles Daria Zalesskaya, doctorante-assistante à l’Université de Lausanne, russe de Moscou qui représente, selon ses mots, la «communauté russe contre la guerre», ou Olga Ho, vice-présidente de Together, née à Marioupol, en Suisse depuis vingt ans, aide-infirmière et mariée à un restaurateur de la région lausannoise. «Il n’y avait pas d’autres options que d’apporter notre aide!» Aide administrative, soutien psychologique ou linguistique: «Tous les Ukrainiens ont les mêmes problèmes, les premiers arrivés savent ce qu’il faut faire et peuvent aider les suivants», raconte Daria Shevchenko. D’autant plus qu’actuellement, quelques 8'000 réfugiés Ukrainiens, principalement des femmes et des enfants, résident dans le canton de Vaud.

C’est ainsi que rapidement, des Ukrainiennes comme Daria Vorobieva, artiste et photographe qui a fui Zaporozhye avec ses deux enfants de 14 et 17 ans, ou Daria Shevchenko, 27 ans, qui a fui Kiev où elle donnait des cours de langue dans une école privée et loge chez une dame seule à Bussigny, ont rejoint Madina et les autres bénévoles. «Nous sommes heureuses de trouver la sécurité, un toit et de la nourriture en Suisse, poursuit Daria Vorobieva. Mais ensuite, il faut changer de sujet, ne pas passer ses journées à penser à la guerre, à parler de la guerre. Il faut de la culture! Et que les familles puissent s’intégrer! C’est pour cela que j’ai décidé de m’occuper aussi d’intégration culturelle. Ce qui signifie les aider à comprendre et connaître la Suisse d’un côté, et permettre aux Suisses de nous connaître, notre culture, notre langue.»

Passionnée d’histoire, intarissables sur les secrets des châteaux, lacs et montagnes de Suisse romande, Olga Zhurova organise des excursions ludiques pour enfants et adultes, qu’elle familiarise autant aux Pirates d’Ouchy qu’aux Singes de Lutry. «Je me passionne actuellement pour Othon de Grandson, le poète. J’ai même commencé à le traduire!» La conférence sur l’histoire de l’horlogerie suisse prévue en janvier, c’est elle!

Autour des trois Daria et des deux Olga, une trentaine d’autres bénévoles. «Nous avons besoin de tout le monde! De ressources humaines, financières, toutes les compétences et les envies sont les bienvenues!» À la Maison de Quartier Sous-Gare, Together Ukraine a trouvé un port d’attache. «Nous avons besoin d’un lieu à nous, afin que les familles sachent où nous retrouver. La Maison de Quartier Sous-Gare a été très ouverte, nous leur en sommes reconnaissantes.» L’équipe s’y réunit tous les mardis, imagine des concerts avec les ados du quartier, des cours de français réguliers, une permanence de soutien psychologique. À leur actif ces derniers mois, un concours de dessins intitulé "Rêve" avec l'école ART'itude, des cours de français d'été, une foire culinaire, des rencontres hebdomadaires entre réfugiées et réfugiés, une fête de Noël pour les enfants. Elles aimeraient développer une plateforme acheteur-vendeur de types «Bonnes affaires» ou encore des ateliers d’art-thérapies et de jeux-thérapie dans les centres des réfugiés. Tant le mari de Daria Vorobieva que le fiancé de Daria Shevchenko sont à la guerre, sur le front à l’est. «C’est difficile. D’autant plus pour les enfants. Nous apprenons à vivre ici et maintenant, à ne pas faire de projets. Si l’on pense trop souvent au retour, on devient folles.»