La littérature, littéralement pour toutes et tous, aussi en prison
Comment durablement inclure tout le monde, quand on est le Service des Bibliothèques et des Archives de la Ville de Lausanne? En créant un partenariat entre la prison de la Tuilière et le Prix du livre de la Ville de Lausanne. Cette année encore, les femmes détenues qui le souhaitent font partie du public.


Personne n’est exclu
«La littérature est à toutes les lectrices et tous les lecteurs.» Tel est le constat de Fanny Meyer, déléguée à la Politique du livre. Peu importe qui elles et ils sont, personne n’est exclu: c’est le principe d’inclusion de base du réseau «Culture inclusive» de Pro Infirmis. Réseau dans lequel se trouvent le Service des bibliothèques & archives de la Ville de Lausanne et le Prix du livre. Une présence qui se concrétise notamment par leur partenariat avec la prison pour femmes de la Tuilière, à Lonay, depuis la 9e édition du Prix. «L’idée est de proposer la sélection du Prix du livre à des personnes à priori moins touchées par la littérature et de les encourager à lire et à participer», explique Fanny Meyer.
Un rapport très étroit
Lors de la première rencontre de l’édition 2025, autour de la table: la délégue à la politique du livre Fanny Meyer, une intervenante socio-éducative de la prison Christelle Geiser Atallah, la directrice adjointe Sandrine Hauswirth, le civiliste Kevin et 4 personnes détenues. Ce qui frappe, c’est que les femmes participantes ont toutes un rapport très étroit avec la lecture. Pour Marine*, c’est «obligatoire». Elle a grandi dans un environnement où «lire était une loi» et échanger en groupe sur ce qui était lu, une habitude. Julie* réserve cette activité calme au moment «juste avant de dormir». Cassandre*, elle, confie avec un sourire qu’elle lit sans s’arrêter, même quand il s’agit des «Misérables», qu’elle relit pour la énième fois. Sans oublier Déborah*, qui écrit en plus de lire. C’est dire à quel point elles sont toutes touchées!
S’évader du moment présent
En fait, comme le dit si bien Fanny Meyer à leur propos: «ce n’est pas parce qu’elles sont en prison qu’elles ne peuvent pas donner leur voix. Elles ne sont pas différentes d’autres lectrices et lecteurs». La lecture est un espace de liberté pour ces personnes, même s’il reste évident que leurs conditions ne sont pas les mêmes que tout le monde. Les 4 femmes mettent le doigt sur leur emploi du temps imposé. Une absence de liberté liée à leur détention. Non, elles ne choisissent pas quand elles peuvent lire, mais sont libres de lire ce qu’elles souhaitent. Une occupation qu’elles considèrent malgré tout comme «un moyen de ne pas être là dans le moment présent». S’évader… S’évader grâce à la littérature suisse romande. Marine*, Julie*, Cassandre* et Déborah* ont 5 évasions à leur disposition. Des romans différents à beaucoup de niveaux: les thèmes abordés, les styles, les maisons d’édition et le genre de leurs autrices et auteurs, entre autres. Des évasions de lecture-plaisir avant tout; lire toute la sélection n’est pas obligatoire.
Sélection et préférences
Où les 4 femmes choisiront-elles de s’évader? Vers le destin d’une famille de Sainte-Croix des années 1950 à 1970, avec « Les petites musiques » de l’enseignant Roland Buti? Sur le chemin de vie d’un passionné de mouches et de peinture, avec «La mécanique des ailes» de l’employée d’une maison d’édition Chloé Falcy? Au cœur de rumeurs et d’une relation de 2 sœurs, avec «Le printemps peut-être» de la jeune Léna Furlan? Dans les aventures comiques d’un tennisman classé 350e mondial et qui veut monter 20e, avec «Le Match du siècle» du Valaisan d’origine et Vaudois d’adoption Philippe Lamon? Ou dans 3 enquêtes en lien avec un massif du Jura, avec « » de l’anthropologue biennois Antoine Rubin? Après avoir entendu Fanny Meyer leur présenter la sélection 2025, puis regardé les vidéos de présentation des 5 autrices et auteurs, Léna Furlan fait presque l’unanimité: «sa façon de parler, son âge» et «la curiosité sur sa manière d’écrire». «Le style différent, drôle» de Philippe Lamon convainc également.
Évoluer en créant un pont
Entre début septembre et fin décembre 2025, c’est le public qui détermine la gagnante ou le gagnant du Prix du livre en votant pour son livre préféré. Pour Marine*, Julie*, Cassandre* et Déborah*, les motivations à participer sont multiples, dont découvrir des autrices et auteurs, «lire autrement, voyager et découvrir la Suisse». Ces 4 femmes «ont un intérêt pour découvrir la culture suisse, apprendre la langue. S’insérer et élargir leurs connaissance du monde, d’une certaine manière», déclare l’intervenante socio-éducative Christelle Geiser Atallah. Avec le civiliste Kevin, elle a sélectionné des femmes parlant français et qui sont en régime d’exécution de peine au sein de la prison. Elle et il leur ont adressé un courrier présentant la Sélection 2025 et annonçant leurs échanges avec Fanny Meyer. Un partenariat qui existe depuis plusieurs éditions maintenant, et qui pourrait évoluer. Sandrine Hauswirth, la directrice adjointe, aborde l’éventualité de la venue à la Tuilière d’une autrice ou d’un auteur parmi les 5 en lice «pour créer un pont». Une idée que Fanny Meyer adorerait concrétiser. Affaire à suivre…
Anaïs Sancha
Politique du livre
Service des bibliothèques et archives
Rue du Maupas 47
1004 Lausanne