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Ioannis Capodistrias en huit facettes et quelques lignes

L’histoire de Ioannis Capodistrias, et notamment la place qu’il occupa dans la construction de la Suisse moderne et du Canton de Vaud, est méconnue du grand public. Elle mérite pourtant que l’on s’y attarde, tant la figure de Capodistrias fut déterminante au tournant du XIXe siècle. Né en 1776, l’année de la déclaration d’indépendance des États-Unis, il meurt à Nauplie, capitale de la Grèce nouvellement indépendante, en 1831.

© Musée National Historique, Athènes.
Portrait du Comte Ioannis Capodistrias (1776-1831) en costume de diplomate au Ministère russe des Affaires étrangères, par Gerasimos Pizzamanos.

Médecin, humaniste et diplomate de haut rang, Capodistrias  fut  le premier gouverneur de la Grèce moderne et indépendante. Envoyé de la Russie en Suisse, à l’heure de l’effondrement de l’empire napoléonien et de la recomposition de l’Europe, Capodistrias fut un promoteur chevronné de l’unité de la Confédération, un artisan minutieux de sa Constitution, un garant de sa neutralité et un défenseur inlassable de l’autonomie du Canton de Vaud et de l’intégration du Canton de Genève à la Suisse. En remerciement de son rôle essentiel, il fut fait premier Bourgeois d’honneur de la Ville de Lausanne et de Genève et Citoyen d’honneur du Canton de Vaud.  

La multiplicité des manières d’écrire le nom de cette personnalité hors du commun est le signe de ses multiples vies, appartenances, missions et destins. Au vu de ses nombreux talents et fonctions, on pourrait le qualifier avec bienveillance de véritable «couteau suisse»! En lisant les différentes versions de son nom, on ressent les influences grecques, orthodoxes, russes et latines qui ont émaillé sa vie.

Pour cet événement, La Ville de Lausanne a opté pour Ioannis Capodistrias, car en français le nom s’écrit naturellement avec un “C” au début et un “s” à la fin. De plus, c’est ainsi que Capodistrias signait lui-même sa correspondance et marquait ses cartes de visite.

Non seulement Ioannis Capodistrias est Bourgeois d’honneur de la Ville de Lausanne, mais il est le premier dans l’histoire de la Ville à avoir reçu ce titre. Pour mesurer la place qu’occupe Ioannis Capodistrias dans l’histoire de Lausanne, il faut le comparer aux personnalités qui ont développé des liens avec Lausanne, mais qui n’ont pas pour autant reçu ce titre, et surtout aux autres Bourgeois d’honneur de la Ville.

Impressionnante est {...}la liste – non exhaustive – de personnalités, hôtes illustres de Lausanne, qui ont tissé des liens avec la Ville, sans en être devenus Bourgeois d’honneur! Parmi ces illustres non inconnus, on retrouve Goethe, Madame de Staël, Chateaubriand, Stendhal, Lord Byron, le poète Shelley, Dumas père, Hugo, Dickens, Richard Strauss, Vallotton, Gide, Coco Chanel, Chaplin, Simenon, Hugo Pratt ou Audrey Hepburn.

Le titre de Bourgeois d’honneur {...}de la Ville de Lausanne est décerné avec parcimonie. Preuve que la contribution de Ioannis Capodistrias à l’histoire de la Ville est inestimable. Capodistrias est le premier d’une courte liste qui s’égrène de 1816 à 1982, et comprend 17 autres grands personnages, majoritairement vaudois: William Haldimand; Mme de Rumine et son fils Gabriel; le Dr César Roux; le Dr Marc Dufour; le Président Woodrow Wilson; lgnace-Jean Paderewski; le Baron Pierre de Coubertin; le General Henri Guisan; Charles Ferdinand Ramuz; Henri Guisan; Alfred Cortot; Édouard-Marcel Sandoz; Ernest Ansermet; Pierre Graber; Georges-André Chevallaz et Maurice Béjart.

C’est avant tout parce qu’il a activement {...}défendu l’autonomie du Canton de Vaud au sein de la Confédération helvétique, sur les ruines de l’Empire napoléonien, que Ioannis Capodistrias obtient la reconnaissance des autorités municipales et cantonales. Il est donc fait en 1816 premier Bourgois d’honneur de la Ville et Citoyen d’honneur du Canton.  Alors que Berne manifestait des velléités de reprendre la main sur le canton de Vaud, Capodistrias a contribué à préserver l’autonomie de Vaud dans la Confédération. C’est la victoire de la modernité sur l’ancien régime. Alors que les cantons sont extrêmement divisés à la fin de 1813, deux visions s’opposent sur le régime politique à mettre en place et Capodistrias reçoit pour mission de sauvegarder l’autonomie des Vaudois et d’éviter le retour à l’ordre ancien. Le diplomate grec n’aimait pas Napoléon, mais il était néanmoins conscient que l’Empire avait modifié la Suisse en profondeur et que le retour au régime préexistant avec domination bernoise était inenvisageable. Ses talents de diplomate et de négociateur ont à jamais changé le visage de la Suisse et du canton de Vaud.

Bien qu’il ait passé une grande partie de sa vie loin de chez lui, principalement au service de puissances étrangères, Ioannis Capodistrias est avant tout l’homme d’une patrie, d’une nation - la Grèce - et a toujours conservé sa loyauté envers son pays.

Capodistrias au Tsar Alexandre 1er: “Chaque fois que je me trouverai face au dilemme tragique de servir les intérêts de ma patrie asservie, je vous avoue honnêtement que je me rangerai du côté de ma patrie”.

Né à Corfou en 1776, Capodistrias grandit en tant que Grec, mais dans une île appartenant à la République vénitienne. Il parle grec à la maison et italien à l’extérieur. A cette période, la Grèce continentale est, elle, sous contrôle turc, intégrée à l’Empire ottoman. En 1794, il part étudier à Padoue en Italie. Quand les îles ioniennes passent sous la domination de Napoléon en 1797, il rentre à Corfou. Au tournant du siècle, une alliance russo-turque {...}chasse les Français et les Iles ioniennes passent sous protectorat russe, pour lequel Capodistrias va travailler. Quand la France reprend le pouvoir à Corfou en 1807, Capodistrias ne veut pas rester et accepte un poste de conseiller au Ministère russe des Affaires étrangères à Saint-Pétersbourg. Nommé conseiller diplomatique à Vienne en 1811 puis à Bucarest, il est envoyé en 1813 dans une Suisse sous domination d’un Napoléon fragilisé, mais toujours debout, pour tenter de rétablir la neutralité suisse au cœur d’une Europe à feu et à sang.

Ambassadeur du Tsar Alexandre Ier {...}au Congrès de Vienne en 1814-1815, Capodistrias en est un acteur incontournable. Il est également présent en tant qu’envoyé plénipotentaire pour la finalisation du Traité de Paris, à la fin de 1815, où les dirigeants européens tentent de terminer le travail interrompu à Vienne par le retour – de courte durée – de Napoléon sur la scène européenne. En 1816, Alexandre Ier en fait son ministre des Affaires étrangères. Jusqu’en 1821, Ioannis Capodistrias partagera avec l’Anglais Castlereagh et l’Autrichien Metternich la responsabilité des relations internationales en Europe. Il ne s’entend guère avec ces deux dirigeants qui, par ailleurs, ne l’apprécient pas non plus et jugent suspecte sa double loyauté envers la Russie et son pays.

Bien que ministre du Tsar, Capodistrias {...}reste fidèle à son pays. Les îles ioniennes sont retournées dans le giron britannique après le Congrès de Paris et le reste de la Grèce est toujours sous influence turque. Le pays souffre d’une pauvreté extrême et est agité par des conspirations menées pour se libérer du joug de l’occupant. Capodistrias refuse à l’époque de prendre la tête de l’insurrection, qui est officiellement lancée le 25 mars 1821. Il est alors encore partisan d’une voie pacifique fondée sur l’éducation des jeunes générations pour atteindre l’indépendance.

Mais le vent tourne en Europe {...}et les puissants, dont l’employeur de Capodistrias, tournent le dos à l’idée de constitutions libérales et de progressisme politique. En porte-à-faux avec la Russie, car loyal à la Grèce, Capodistrias présente sa démission en 1822. Le tsar le met en congé à durée indéterminée, avant d’accepter son départ définitif en 1827.

C’est en Suisse, {...}et plus précisément à Genève, ville dont il est aussi citoyen d’honneur, que Capodistrias s’installe et organise le soutien à la Grèce, engagée dans une guerre brutale et violente avec les Turcs. Toujours perçu comme un diplomate russe, Capodistrias soutient la cause, mais pas frontalement, pour ne pas la desservir. Il s’appuie sur les Philhellènes, les “amis de la Grèce”, en Suisse et dans le reste de l’Europe. En 1827, le pays naissant, très divisé, voit en lui une personnalité “neutre”, mais aussi un fin diplomate très bien introduit dans les milieux de pouvoir européens, et l’invite à diriger la Grèce pour une période de sept ans.

Capodistrias {...}finit par se ranger au service d’un seul État, celui de ses origines, jusqu’à la fin de sa vie. En 1830, les frontières de la Grèce indépendante sont reconnues par le sultan ottoman. Capodistrias verra son action limitée notamment par les carences d’une Constitution adoptée avant son arrivée. Son choix de mettre à l’écart du pouvoir les familles et clans “historiques” au profit de conseillers issus de la diaspora s’avèrera finalement préjudiciable à son action. Une dérive autoritaire et un exercice solitaire du pouvoir marqueront les derniers mois de son gouvernement. Le premier gouverneur de la Grèce indépendante mourra assassiné à Nauplie, capitale du jeune État grec, le 9 octobre 1831, laissant le pays dans une grande instabilité politique et fragilité économique

En 1813, la Suisse est sous la coupe de l’Empire napoléonien, certes affaibli mais toujours debout. Les cantons suisses sont mis à contribution dans l’effort de guerre en fournissant des produits agricoles, des armes et des hommes.  

Pour la Suisse, l’affaiblissement de l’Empire n’est pour autant pas synonyme d’espoir de liberté et d’indépendance, car l’Autriche, d’entente avec les Bernois, est aux aguets pour accroître sa présence dans la région. La perspective d’une division de la Suisse entre influences française et autrichienne inquiète. Et elle inquiète notamment la Russie. 

Il faut être conscient {...}qu’à l’époque, il est difficile de parler de “la Suisse” et de l’imaginer telle qu’on la connait aujourd’hui. Les cantons sont divisés, certains luttant pour leur autonomie, les autres pour augmenter leur domination géographique.

C’est dans ce contexte que Capodistrias {...}est envoyé par le Tsar Alexandre Ier qui est convaincu que la stabilité de l’Europe passera notamment par la garantie de la neutralité de la Suisse, et ce pour contenir les velléités d’expansion de ses voisins. La mission de Ioannis Capodistrias, de concert avec le représentant autrichien, le baron Lebzeltern, est de soustraire la Suisse du giron français, d’unifier le pays et d’accompagner la Suisse (et en particulier le canton de Vaud) dans sa réorganisation postnapoléonienne. À la suite du refus de la Confédération de rompre son alliance avec la France, l’armée autrichienne entre en Suisse, avec pour objectif d’envahir la France par le Sud. “Reste” donc à rassembler les cantons et à assurer la neutralité de la Suisse. Divisés par la langue, la géographie, le niveau de développement économique autant que par les idées (et idéaux) politiques, les cantons se déchirent. Les cantons de Vaud et d’Argovie, qui avaient gagné leur indépendance sous Napoléon, ne veulent pas redevenir des vassaux de Berne, qui représente l’ancien régime, allié à l’Autriche, face aux promoteurs de la liberté et du modernisme. Le canton de Vaud est de ceux-là.

Au prix d’un déploiement {...}de trésors de diplomatie et d’un inlassable va-et-vient entre cantons, Capodistrias et son collègue autrichien arrivent à réunir les 19 cantons au sein d’une assemblée à Zurich qui siègera à partir d’avril 1814 pendant cinq longs mois, d’où son nom de Longue Diète. Le fragile compromis aboutit à l’unification du pays sous une Constitution confédérale tout en garantissant l’autonomie de chaque canton à travers des constitutions propres. L’enjeu est de taille, car, à la suite de la chute de l’Empire napoléonien, les puissances européennes se préparent à redessiner les frontières du continent au Congrès de Vienne. A ce moment-là, la Suisse n’est pas encore un État unifié et solide et elle ne pèsera pas grand-chose dans les discussions.

Au bout de discussions {...}interminables entre cantons préoccupés seulement de leur intérêt propre, et après avoir fait de Berne la pierre angulaire de la Confédération et limité ses prétentions sur Vaud et Argovie, Capodistrias arrive à faire s’accorder 22 cantons (en comptant les nouveaux venus Neuchâtel, Valais et Genève) sur le Pacte fédéral, premier texte dans lequel apparaît le mot “Confédération”. Négocié en 1814, le Pacte sera officiellement signé le 7 août 1815. Capodistrias, “arrondissant les angles” de toutes les constitutions des cantons, permet l’assemblage des pièces du puzzle amenées à devenir la Constitution Confédérale.

A Vienne, le bal des nations {...}bat son plein dès novembre 1814, au rythme des intérêts, des alliances et des pas de côté dans les corridors. Pour la Suisse, il s’agit d’asseoir ses frontières et de poser sa neutralité en principe inaliénable. Par chance ses intérêts coïncident alors avec eux des grandes puissances... Ioannis Capodistrias va commencer par s’atteler au problème du Canton de Genève, qu’il faut rattacher à la Confédération via le Canton de Vaud et dont il faut sécuriser les frontières côté savoyard. Les négociations impliquent la France vaincue, le Royaume de Sardaigne et l’Autriche ! L’accord consolide les frontières du canton, ainsi fermement rattaché à la Suisse, autant que la place de la Confédération au cœur de l’Europe. Le rattachement définitif de Genève sera finalisé avec le second Traité de Paris en 1815 et le Traité de Turin en 1816.

Même s’il a pu rejoindre {...}Vienne avec le sentiment d’avoir assis l’existence de la Suisse et de lui avoir assuré une petite place à la table des négociations, Capodistrias est déçu par la Constitution. Selon lui, elle est faible et “à peine une Suisse”. Il est convaincu qu’elle ne permettra pas au pays de surmonter de futures tensions et conflits entre cantons. L’Histoire lui prouvera qu’il avait raison. Les frontières de la Suisse moderne doivent néanmoins beaucoup au médecin grec émissaire du Tsar de Russie.

Le principe qui fait aujourd’hui de la Suisse un État unique au monde, à savoir sa neutralité - que l’on pourrait croire aussi ancienne que la Suisse elle-même - doit également beaucoup à Capodistrias.

On entend par neutralité d’un État le fait de se tenir à l’écart d’un conflit international. Le principe de la neutralité suisse serait né à Marignan en 1515. Les interprétations et conclusions divergent encore aujourd’hui, mais il est certain qu’au cours de l’histoire suisse et européenne, neutralité a souvent rimé avec neutralisation – notamment par les puissances étrangères. Mais pourquoi la question de la neutralité suisse importe-t-elle autant à d’autres qu’aux Suisses ? La question de la neutralité suisse ne se limite en effet pas aux intérêts suisses et apparaît très vite au cœur de la recomposition de l’Europe postnapoléonienne. Il semble essentiel de {...}limiter l’influence de la France d’un côté et les velléités autrichiennes de l’autre. La neutralité de la Suisse permettrait de limiter l’une comme les autres.  Le Tsar Alexandre 1er étendra sa protection à l’ensemble des cantons, les protégeant les uns des autres ainsi que de l’extérieur... Si la Suisse doit être neutre, c’est avant tout pour asseoir une paix durable en Europe. Son indépendance politique et son autonomie de défense militaire devront lui fournir la résistance nécessaire aux influences de ses voisins.

La question de la neutralité {...}ne peut être réglée au Congrès de Vienne, les négociations étant brutalement interrompues par le retour de Napoléon sur le devant de la scène en 1815, pour 100 jours. C’est à Paris, le 20 novembre 1815, au cours d’une Conférence de paix qu’est adoptée “la déclaration des Puissances portant reconnaissance et garantie de la neutralité perpétuelle de la Suisse et de l’inviolabilité de son territoire”.

La Suisse a mis encore plusieurs décennies {...}à sortir des luttes intestines entre cantons et d’un marasme économique persistant, mais il est aujourd’hui évident que le fédéralisme et la neutralité sont devenus parties intégrantes de l’identité du pays.

Les témoignages sur Capodistrias sont unanimes. C’est un homme loyal, droit et d’une honnêteté à toute épreuve, qui a su dissiper la méfiance de certains. Il est un travailleur chevronné et un négociateur plus que talentueux. Il a noué au cours de sa carrière diplomatique, des amitiés indéfectibles sur lesquelles il s’appuiera pour soutenir la lutte pour l’indépendance de la Grèce. Le Genevois Pictet de Rochemont, envoyé de la Suisse à la Conférence de Paix de Paris en novembre 1815, l’appelle son “guide” ou encore sa “boussole”. Le Vaudois Frédéric-César de la Harpe, ancien précepteur du Tsar Alexandre 1er, dit de lui: “C’est un homme que le bon génie de notre patrie parait avoir choisi pour faire du bien”.

Il déploiera tout son talent pour assembler les pièces du puzzle suisse, créer un équilibre entre anciens et nouveaux cantons, puis pour défendre la neutralité du territoire au cœur de l’Europe. Homme des négociations de corridors et diplomate de génie, il a compris que l’on ne peut durablement imposer de l’extérieur des structures institutionnelles et que l’adhésion du peuple est nécessaire. On parlerait aujourd’hui d’appropriation. Il disait {...}en 1821 à propos de la révolution grecque: “La reconnaissance et la véritable indépendance d’un peuple ne peuvent être que l’œuvre de celui-ci. Une aide extérieure peut les faciliter, mais elle ne peut pas les créer”. Ce constat raisonne tant pour expliquer son action en Suisse dans les années 1813-1815 que pour mesurer les limites de son intervention, traduites par la fragilité dont fera preuve la Constitution fédérale quelques années plus tard.

Son talent de négociateur {...}est indéniable. Les autorités vaudoises et lausannoises ne s’y sont pas trompées à l’heure de lui témoigner leur reconnaissance. Elles font de lui respectivement un Citoyen du Canton de Vaud et le premier Bourgeois d’honneur de la Ville. Le courrier qui est envoyé à Capodistrias est éloquent : “Monsieur le Comte ! Digne Ministre d’un grand monarque pour lequel nous sommes pénétrés d’un profond respect et d’une éternelle reconnaissance, Votre Excellence a bien voulu s’employer avec un zèle et un intérêt dont nous avons senti tout le prix, pour arranger les affaires de la Suisse, et consolider la liberté et l’indépendance de notre Canton.”

Au cours de ses pérégrinations européennes, Capodistrias s’est composé un réseau de connaissances, de relations et d’amis, qui lui resteront fidèles jusqu’au bout. En Suisse, beaucoup prennent en considération ce que la Confédération dans son ensemble, mais aussi les cantons, et notamment ceux de Vaud et de Genève, lui doivent. Vaudois et Genevois se sentent redevables de ce que ce grand homme leur a apporté, à commencer respectivement par l’autonomie de leur canton face au pouvoir bernois et des frontières sures.

La plupart des membres de ce réseau sont ce que l’on appelle des “philhellènes”, littéralement des “amis de la Grèce”. Par extension, les philhellènes sont des personnes qui, en Europe, furent à l’origine du mouvement d’aide morale, matérielle et militaire aux Grecs durant la guerre d’Indépendance qu’ils firent contre les Turcs de 1821 à 1829 et des volontaires étrangers engagés aux côtés des Grecs pendant cette même guerre. Le philhellénisme {...}fait appel à la défense de l’héritage classique tant dans les Arts que dans les siècles que l’Europe “doit” à la Grèce et c’est cette cause qui motivera le plus de combattants à rallier la cause de l’indépendance du pays. La notion de croisade contre les Ottomans n’est pourtant pas complètement absente de l’argumentaire des philhellènes en faveur d’une Grèce libre et indépendante. Après la chute de Missolonghi en 1826 – une ville défendue par les Grecs et reprise par les Turcs au bout d’un siège très éprouvant et d’un combat sans pitié – l’opinion européenne bascule définitivement en faveur de la Grèce.  

Les Philhellènes vont soutenir {...}la Grèce dans son chemin vers l’indépendance, notamment en organisant des souscriptions et en levant des fonds pour participer à l’effort de guerre (par l’envoi d’armes et de combattants) et pallier les urgences que la situation sur le terrain génère (famines, vente d’esclaves, villes assiégées). Étant donné son statut de serviteur du Tsar de Russie, Capodistrias – en congé seulement – ne s’implique pas frontalement et ouvertement dans la guerre d’indépendance, mais il use de toute son influence pour mobiliser ses réseaux partout en Europe, et plus particulièrement à Paris et à Genève.

Des comités philhellènes se créent en Europe. {...}A Genève, le Banquier Jean-Gabriel Eynard, déjà lié avec la Grèce, prend la tête des opérations. Des personnalités comme Charles Pictet de Rochemont, diplomate et homme d’État, François d’Ivernois, député et plus tard, Elie-Ami Bétant, helléniste et secrétaire personnel de Capodistrias, participent activement à la diffusion des idées et actions des philhellènes.  

La ville de Lausanne se mobilise {...}dès le début de 1821 et se dote également d’un comité philhellène dans les années 1820. Le comité lèvera des fonds, lutte contre la famine en produisant et expédiant de la gélatine comme substitut alimentaire (ainsi que des marmites autoclaves pour une production sur place) et crée un institut d’éducation pour des enfants grecs. Des personnalités comme Frédéric-César de la Harpe, ancien précepteur du Tsar, et Henri Monod, représentant du Canton de Vaud à la Diète de Zurich, resteront des amis fidèles de Capodistrias et de la cause grecque. L’écrivain et homme politique Benjamin Constant soutiendra aussi l’indépendance de la Grèce.

Médecin de formation, lettré, intellectuel, Ioannis Capodistrias a consacré une grande partie de sa vie à développer le système d’éducation. Il a étudié la philosophie en plus de la médecine et est sensible aux idées des Lumières qui courent dans toute l’Europe de la fin du XVIIIème siècle. Convaincu que l’indépendance politique et la croissance économique viendraient de l’éducation des masses et pas seulement des élites, il a tout mis en œuvre pour former le peuple grec. Même s’il a dû se résoudre à soutenir le conflit armé, il ne s’est jamais départi de cet objectif.

Dès le début de sa carrière professionnelle, à Corfou, il subit les influences étrangères et forge sa conviction que la liberté émergera de l’éducation et que cette dernière est une alternative à la violence.  Serviteur dans l’administration, il sera notamment en charge des écoles.

Au cours de sa mission en Suisse en 1813-1814, {...}il s’instruit sur les innovations en matière de pédagogie et va à la rencontre de Johann Heinrich Pestalozzi à Yverdon et de Philipp Emmanuel von Fellenberg à Berne, deux pédagogues novateurs qui auront une influence sur ses choix par la suite. Fondateur de plusieurs établissements d’enseignement en Suisse, Johann Heinrich Pestalozzi (1746–1827) écrivit de nombreux ouvrages expliquant ses principes révolutionnaires d’éducation moderne. Il croyait à la fois à la capacité de chaque être humain d’apprendre et au droit de chaque individu à l’éducation. Pestalozzi était particulièrement concentré sur le pouvoir de l’éducation pour aider les pauvres. On lui attribue un net recul de l’analphabétisme en Suisse au XIXe siècle. Philipp Emmanuel Fellenberg (1771–1844) fonda en 1799 une école agricole autonome pour les enfants pauvres qui combinait formation manuelle avec enseignement agricole et scolaire. Il ajouta un institut classique pour les enfants de la classe moyenne, construisit des jardins, créa une imprimerie et fonda des écoles pour filles et pour l’éducation des enseignants. Son objectif social, à atteindre par l’éducation, était d’essayer d’élever les conditions de vie des pauvres et de les souder avec les classes supérieures. Fallenberg a d’abord travaillé avec Pestalozzi, mais des différends personnels vont finalement séparer les deux hommes.

Quand Capodistrias prend la tête de l’État grec, {...}son pays est ravagé par la guerre civile, les rivalités entre clans, la pauvreté, les inégalités sociales et les maladies. Malgré l’aide des Philhellènes qui persiste après son arrivée au pouvoir, les besoins sont immenses et les moyens limités sont plus souvent consacrés à la sécurité qu’aux grands travaux de reconstruction du pays. Il essaie néanmoins de relancer l’agriculture et surtout ne fait pas de compromis sur les questions d’éducation. Il est convaincu que c’est par là que passera la stabilisation politique et la croissance économique du pays. C’est à ce moment qu’il met en application les méthodes qu’il a pu observer au cours de sa carrière de diplomate en Europe : écoles agricoles, enseignement des jeunes par les plus âgés, système d’apprentissage, etc. Sur le territoire du Péloponnèse, le nombre d’écoles est multiplié par plus de 7 entre 1820 et 1830. 

  • Amberg, Lorenzo.  «Une bienveillance constante, jamais refroidie, toujours gracieuse, toujours croissante» - Capo d’Istria, un acteur clé de l’histoire suisse (1813-1815), Conférence donnée par l’Ambassadeur de Suisse en Grèce à la Société de lecture de Corfou, 23 septembre 2009.
  • Bouvier-Bron, Michelle, "La Mission de Capodistrias en Suisse (1813-1814)", Société d’études corfiotes, 1984.
  • Bouvier-Bron, Michelle. «Genève: microcosme du philhellénisme», in Cléopâtre Montandon (éd.), Regards sur le philhellénisme (Genève 2008), pp. 21-31.
  • Confédération suisse, Ioannis Kapodistrias
  • Constantinos Vp. Vacalopoulos, «Quelques éléments nouveaux sur l’histoire du mouvement philhellénique en Suisse et en France, 1825-1830», Balkan Studies, 1976, pp. 359-371.
  • Dommen Bridget, Jean Capodistrias, Artisan de la neutralité suisse, père de l’indépendance grecque, Editions Cabedita, 2018.
  • Hugli, Jean, «Capo d’Istria: premier citoyen d’honneur du Canton de Vaud et bourgeois d’honneur de Lausanne», Revue historique vaudoise, 1956, pp. 65-84.
  • Sd. Olivier Meuwly, Le Congrès de Vienne et le Canton de Vaud, 1813-1815, Actes du Colloque des 27 et 28 novembre 2014, Bibliothèque historique vaudoise, 2017.
  • Lettre de Ioannis Capodistrias à Frédéric-César de La Harpe, 1827
  • Appel du 26 avril 1826 du Comite établi à Lausanne en faveur des Grecs
  • Phénix première unité monétaire de la Grèce moderne, 1828
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