Populations
Le très vaste territoire de ce qui a représenté l’Empire ottoman englobe une multitude de populations et communautés. Cette page s’attache à présenter les populations, minorités et communautés de l’Empire à la Turquie moderne, de manière contextualisée et non exhaustive, dans une volonté de faire le lien entre ces populations et l’histoire du Traité.
Sources
Les informations fournies sur cette page proviennent principalement des sources mentionnées ci-dessous.
- Hamit Bozarslan, «Les minorités en Turquie», Pouvoirs, 2005/4 (n°115), pp. 101-112.
- Emile Bouvier, «Minorités non-kurdes en Turquie: une mosaïque ethnique riche et discrète», Les clés du Moyen-Orient, 16 novembre 2020.
(1/3) Historique des minorités en Turquie et point de situation ethnographique synthétique
(2/3) Etat des lieux social et juridique des droits des minorités en Turquie
L’Etat impérial ayant un fondement religieux (musulman), les non-musulmans sont considérés comme des communautés «mineures». Trois minorités sont reconnues selon le statut de 1454 (selon le système de Millet) qui s’applique aux Chrétiens et aux Juifs.
Le recensement de 1912 se fait donc sur une base confessionnelle uniquement. Si le chiffre pour l’ensemble de la population de l’Empire varie de 18 à 25 millions environ selon les sources, les chiffres des différentes communautés religieuses sont plutôt stables.
- Grecs: 1,75 mio
- Arméniens: 1,5 mio
- Juifs: 75’000
Auxquels il convient d’ajouter:
- Assyro-Chaldéens ou Araméens ou Syriaques: 150’000 non considérés comme une minorité mais bénéficiant de facto des mêmes avantages que les précédents.
- Roms, Yézidis et Bulgares: 31'000.
Ces minorités représentent à la veille de la Première Guerre mondiale près de 20% de la population.
A côté de ces minorités clairement identifiées et catégorisées selon la religion, on trouve dans le vaste territoire de l’Empire ottoman, une multitude de groupes, de communautés, qui ne sont pas considérés comme des minorités et donc non comptabilisés comme telles. Les groupes les plus importants sont les Kurdes, les Arabes et les Alevis. On trouve aussi de plus petits groupes tels que les Abkhazes, les Albanais, les Bosniaques, les Tcherkesses, les Georgiens, les Lazes, les Pomaques, les Tatars, les Zazas, les Romans,etc.
Avec la montée des nationalismes au sein de l’Empire ottoman à la fin du XIXème et au début du XXe siècle. Nationalismes chrétiens, nationalisme arabe, et en réponse, la montée d’un nationalisme turc construit sur une double identité / appartenance musulmane et turque.
Les guerres menées entre 1911 et 1923 (guerres balkaniques, Première Guerre mondiale, guerre d’indépendance de la Turquie, etc.) ont engendré de substantielles pertes de territoires ainsi que de massifs mouvements de population, dans et hors du territoire turc. De plus, des centaines de milliers de morts, dont près de 600’000 Arméniens ayant subi le génocide perpétré par les Turcs, ont profondément modifié la population de la Turquie. On estime aussi à 250'000 le nombre d’Assyro-Chaldéens victimes de massacres à cette même période.
Recensement de 1927
En 1927, la population totale de la Turquie s’élève à environ 13'650'000, sur un territoire qui est celui d’aujourd’hui.
Le Traité de Lausanne ne définit le terme de «minorité» et ne nomme pas de minorité à proprement parlé. Seul l’appellation «non-musulman» est utilisée. Les Kurdes, qui représentent alors près de 20% de la population, ne sont pas considérés comme une minorité et aucun droit ou statut spécifique ne sont définis par le traité. Le texte garantit néanmoins un usage de langues autres que le turc. Les populations arménienne, grecque et juive sont de facto les seules à être reconnues par le Traité de Lausanne et sont recensées comme telles en 1927.
- Chrétiens: 124’000 (77’000 grégoriens, 7’000 protestants, 40’000 catholiques)
- Arméniens: 100’000 (810’000 ayant quitté le territoire turc; 590’000 massacrés en 1915-1916)
- Grecs: - 1,1 mio = reste 650’000 (Recensement grec de 1928 confirme l’arrivée en Grèce de près de 1’100’000 Grecs dont 250’000 de Thrace orientale, 620’000 d’Asie mineure, 180’000 du Pont et 40’000 de Constantinople.
La population de Turquie est estimée en 2020 à environ 84 millions d’habitants. Le dernier recensement officiel date de 1965. Le pourcentage de personnes appartenant à une minorité (définie comme religieuse) correspond à environ 0,1% de la population.
On estime aujourd’hui les minorités à environ :
- 55'000 Arméniens
- Entre 3’000 et 5'000 Grecs
- 25'000 Juifs
- 20'000 Assyro-Chaldéens (chiffres augmentés ces dernières années avec les réfugiés venus d’Irak et chassés par Daesh). Ils étaient moins de 4'000 présents en Turquie au début du XXIe siècle.
Selon l’État turc, la «question des minorités» n’en est donc pas une. En effet, les groupes s’identifiant eux-mêmes selon une appartenance à une communauté – dont principalement les Kurdes, les Arabes et les Alévis – ne sont pas, statutairement parlant, des minorités. Ils sont «purement et simplement considérés comme turcs parce que musulmans, ou inversement, musulmans parce que turcs». (Hamit Bozarslan)
Aujourd’hui on estime qu’environ 20% de la population de Turquie s’identifierait comme alévie, 15% comme kurde, et moins de 1% comme arabe (sans compter les vagues de réfugiés syriens et irakiens). Ces populations ne s’additionnent pas nécessairement, certains étant doublement minoritaires, par exemple comme les Kurdes Alévis.
Les autres communautés représentent :
Populations caucasiennes
- Abkhazes: 0,4%
- Géorgiens: 0,1%
- Karapapaks: 0,25%
- Lazes: 1%
- Tcherkesses/Circassiens: 1,65%
Populations balkaniques
- Albanais: 1,7%
- Bosniaques: de 1,82% à 4,9% selon les estimations
- Pomaques: 0,5%
- Roms: 2,5% (estimation difficile)
- Tatars: 0,65%
- Zazas (Kurdes alévis): 2,5%
Alévis
Communauté religieuse principalement originaire de Turquie, qui s’est répandue aux XIIIe et XIVe siècles parmi les tribus turkmènes immigrées en Anatolie et en Azerbaïdjan. Les Alévis regroupent différentes communautés musulmanes relevant de l’islam dit hétérodoxe, avec rites et croyances différentes. L’alévisme définit plus une appartenance religieuse qu’ethnique ou linguistique. La majorité des Alévis sont turcs mais on compte aussi environ 3 millions d’Alévis kurdes ainsi que des Alévis arabes appelés Nusayri.
Arabes
D’un point de vue géographique, le terme “arabe” désignait à l’origine les habitant·e·s de la péninsule arabique et les groupes peuplant le croissant fertile à l’époque préislamique. Les conquêtes arabo-musulmanes du VIIIe siècle ont permis l’émergence de différents Etats arabes en Afrique du Nord, dans la péninsule ibérique, au Sahel et en Afrique de l’Est ainsi qu’en Asie. Dès lors, le terme s’applique aux populations arabes s’y installant, ainsi que les populations qui parlaient la langue et adoptaient la culture et l'identité arabe. La fin de l’Empire ottoman et la perte des territoires en Méditerranée et au Moyen-Orient a considérablement réduit la population arabe sur le territoire turc. Il faut noter l’arrivée de milliers de réfugiés syriens et irakiens ces dernières années.
Kurdes
Peuple iranien de langue indo-européenne, majoritairement de confession musulmane sunnite – majoritairement shafii –, comptant néanmoins une grande diversité religieuse, dont des Alévis. Nation sans Etat, le peuple kurde vit principalement sur un territoire de 520’000 km2, s’étendant sur quatre pays l’Iran, l’Irak, la Syrie et la Turquie. Enterrée avec le Traité de Lausanne, la promesse d’un territoire kurde autonome demeure une aspiration du peuple kurde aujourd’hui et cristallise les tensions géopolitiques en Turquie et dans la région.
Turcs
Peuple originaire d’Asie centrale et établi en Anatolie depuis le XIe siècle, les Turcs, aussi appelés Turcs anatoliens, sont issus d’un vaste groupe ethnolinguistique dont la langue originelle est une langue turcique. Ils vivent principalement en Turquie. On appelle également Turcs les habitants de la Turquie. S’il l’on s’accorde à dire que 99% des Turcs (habitants de la Turquie) sont musulmans, on estime que 80 à 85% environ sont sunnites et 15 à 20% sont Alévis.
Arméniens
Peuple originaire du Caucase et du haut plateau arménien. Dès le début du IVe siècle, l’Arménie est le premier pays à se déclarer officiellement chrétien. La religion est une composante importante de l’identité nationale. En raison de l’histoire tragique des Arménien·ne·s, et notamment le génocide subi en 1915 en Turquie, et de la forte diaspora qui en a découlé, on estime aujourd’hui à environ 12 millions la population arménienne dans le monde. Seuls 2,9 millions résident en Arménie.
Assyro-chaldéens (ou Araméens ou Syriaques)
Communauté chrétienne du Proche-Orient, parlant et écrivant le syriaque, une langue proche de l’araméen. Leur appartenance remonte à l’une des Eglises orientales de la fin du IVe siècle dans l’Empire romain. Leur nom se rapporte à la Chaldée, région antique située entre le Tigre et l’Euphrate, dans le sud de la Mésopotamie (Irak actuel), et l’Assyrie, ancienne région du nord de la Mésopotamie. Les Assyro-Chaldéens ont également été victimes de massacres massifs entre 1914 et 1920.
Grecs
Présent sur les rives de la Méditerranée et de la mer Noire, le peuple grec a toujours été centré entre la mer Égée et la mer Ionienne, où le grec est parlé depuis l’âge du Bronze. Les populations se sont dispersées entre la péninsule grecque, l’ouest et les côtes de l’Anatolie, les bords de la mer Noire, l’Egypte, Chypre et Constantinople. En plus de la langue, l’appartenance au christianisme orthodoxe constitue un facteur identitaire important. Une Convention signée à Lausanne le 30 janvier 1923 entre la Grèce et la Turquie entérine le principe d’échanges forcés de populations dans un but d’homogénéisation ethno-linguistico-religieuse des territoires. Il en résultera des déplacements massifs et brutaux de population, dont environ 1,3 millions de Grecs orthodoxes et 400'000 Turcs musulmans
Juifs
A l’inverse des communautés grecque et arménienne, la minorité juive en Turquie est plurielle, tant du point de vue des origines géographiques que des usages linguistiques. La majorité des Juifs est d’origine séfarade (issue du bassin méditerranéen, et notamment d’Espagne) et parle un dialecte dérivé de l’espagnol. Les Juifs ashkénazes sont originaires d’Europe de l’Est et parlent le yiddish. Une minorité karaïte parle le grec.
Abkhazes
Groupe ethnique caucasien habitant principalement au bord de la mer Noire, entre la Russie et la Géorgie. Une grande diaspora vit également en Turquie, descendante d’émigrés de la fin du XIXe siècle, expulsés ou déplacés vers l’Empire ottoman. Musulmans sunnites, les Abkhazes sont bien intégrés en Turquie et reconnaissants à l’Etat turc d’entretenir des relations diplomatiques avec l’Abkhazie, une région de la Géorgie qui revendique son indépendance.
Géorgiens
Peuple autochtone du Caucase, principalement présent en Géorgie. Ils sont musulmans sunnites. En Turquie, il existe un sous-groupe de Géorgiens, les « Imerkhéviens », parlant une langue particulière et vivant dans une zone délimitée composée de 14 villages, à proximité de la frontière géorgienne. Comme ils ne revendiquent aucune indépendance ou rattachement à la Géorgie, ils sont bien intégrés en Turquie. Selon lui-même, le Président Erdoğan aurait des origines «Gürcü».
Karapapaks
Majoritairement Alévis, les Karapapaks vivent aujourd’hui en Turquie, en Azerbaïdjan et en Géorgie.
Lazes
Les Lazes sont un peuple caucasien, parlant le laze et sont majoritairement de confession musulmane sunnite. La majorité d'entre eux vit aujourd'hui en Turquie – dans la région du Pont et au Nord-est du pays – et sont bien intégrés. En raison d’un processus d’assimilation, la culture et la langue lazes risquent de s’effacer et l’UNESCO a catégorisé en 2015 la langue laze comme en voie de disparition.
Tcherkesses
Les Tcherkesses sont aussi connus aussi sous le nom de Circassiens. Ils vivent majoritairement en u nord-ouest de l’Anatolie de nord-ouest. Pratiquant un islam sunnite, ils sont bien intégrés en Turquie, dont ils parlent la langue.
Albanais
Les Albanais constituent un groupe ethnique européen partageant les mêmes langue et culture, et vivant majoritairement en Albanie et au Kosovo. Ils sont également répartis dans l’ouest de la Macédoine du Nord, au sud de la Serbie et du Monténégro, ainsi qu’en Grèce. Ils sont à majorité musulmans. En 1912, l’indépendance de l’Albanie est proclamée, à l’issue de la première guerre balkanique. Malgré un attachement à l’Empire ottoman, l’Albanie opte pour l’indépendance, notamment pour se préserver des velléités grecques et serbes. Beaucoup rejoignent alors l’Empire ottoman et se définiront comme Turcs. En 1923, ces populations sont directement impactées par le Traité de Lausanne. Dans deux petites régions grecques (Tchamérie et Kastoria), les musulmans sont reconnus comme Albanais et donc échappent à l’échange de populations. A l’inverse, en Macédoine grecque occidentale, les Albanais sont classés comme musulmans et donc expulsés. La majorité ira s’installer en Albanie mais une partie choisira la Turquie.
Bosniaques
Appartenant aux peuples slaves du sud, les Bosniaques vivent majoritairement en Bosnie-Herzégovine et dans certaines régions de Serbie et du Monténégro. Après 30 ans d’occupation, la province de Bosnie est annexée par l’Empire austro-hongrois en 1908. En 1918, lors de l’annexion de la Bosnie au Royaume serbe-croate-slovène (qui deviendra le Royaume de Yougoslavie en 1929), les Bosniaques identifiés à l’oppresseur ottoman sont discriminés en raison de leur appartenance à l’Islam. Certains bosniaques font alors le choix de rester sur le territoire turc. En Turquie, ils vivent en majorité dans les grandes villes de l’Ouest et vers la mer de Marmara.
Pomaques
Terme qui désigne les Slaves musulmans vivant en Bulgarie, dans le nord-est de la Grèce et le nord-ouest de la Turquie. Leur origine est incertaine, il s’agirait de Bulgares islamisés durant l’occupation ottomane. Les Pomaques sont aujourd’hui reconnus comme une minorité musulmane de Grèce. D’origine bulgare, ils vivent en Thrace occidentale, région qui a été « partagée » par le Traité de Lausanne, entre Grèce et Turquie. Les Pomaques font parties des populations minoritaires « non-échangeables » selon le traité (musulmans de Thrace occidentale d’un côté et chrétiens grecs d’Istanbul, d’Imvros et de Ténédos de l’autre).
Roms
Originaires de l’Inde du Nord, les Roms, ou Tsiganes se retrouvent dans toute l’Europe et ont de tout temps et en tout lieu subi des discriminations. En Turquie, ils vivent principalement en Thrace orientale mais on en trouve dans toutes les régions. Majoritairement musulmans, ils ne sont pas considérés comme une minorité en Turquie.
Tatars
Peuple turcique parlant le tatar vivant au centre et au sud de la Russie, en Ukraine, au Kazakhstan, en Turquie et en Ouzbékistan. En Crimée, les Tatars ont été longtemps alliés des Ottomans, avant de passer progressivement sous domination russe à partir de la fin du XVIIIe siècle. Suite à la guerre de Crimée (1853-1856), de nombreux Tatars, persécutés par les Russes, fuient vers l’Empire ottoman (Turquie, Bulgarie et Roumanie). Après la chute de l’URSS en 1991, plus de 250'000 Tatars retournent en Crimée. L’annexion du territoire par la Russie en 2014 provoque une nouvelle vague d’exil, en partie vers la Turquie.
Zazas
Les Zazas sont une minorité linguistique et non ethnique. Ils sont majoritairement Kurdes et un certain nombre sont aussi Alévis. Ils parlent le zazaki et vivent majoritairement dans l’Est de la Turquie.