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L’afrosuissitude en incubation

Y’a-t-il une manière particulière d’être Noir·e·x en Suisse? De se raconter? De créer? Le 4 mai entre 14h et 16h à la Bibliothèque Chauderon, Pamela Ohene-Nyako anime l'atelier participatif «Afropéanité, atelier incubateur». Nous vous présentons son portrait et sa vision de l'afrosuissitude.

© Desire Clarke
Pamela Ohene-Nyako, animatrice et fondatrice d’Afrolitt’

Ni d’ici ni de là-bas

2012. Pamela a 21 ans. Étudiante en relations internationales à l’Université de Genève, un jour, elle s’effondre. Le corps médical diagnostique un burnout. Née en Suisse d’un père ghanéen et d’une mère suisse allemande, elle est, depuis toujours, renvoyée à sa part Noire, à son statut de métisse – utopique et fantasmé, à nulle part. Ni d’ici ni d’ailleurs. «Cela a eu des conséquences sur ma santé, sur le regard que je me portais à moi-même. J’avais besoin d’un ancrage, d’une affirmation.» 

Durant cette phase qu’elle identifiera plus tard comme une crise de l’âme, de bell hooks, Chinua Achebe, à Octavia E. Butler, Pamela Ohene-Nyako se plonge dans la littérature Noire et trace dès lors les premières lignes d’un projet littéraire, politique, thérapeutique et social. En 2016, de ses connaissances cumulées naît Afrolitt’, une plateforme qui valorise les littératures Noires et africaines comme outil de réflexion critique, d’émancipation, mais aussi, possiblement, de réparation.

L’effondrement libérateur et l’affirmation afropéenne 

De ces interrogations profondes qui l’habitent alors, c’est Léonora Miano, écrivaine franco-camerounaise qui lui ouvrira la voie d’un cheminement intime et réflexif, notamment à travers «Habiter la frontière», paru en 2012. «Dans ce texte, elle mettait des mots sur les expériences que je vivais, les sentiments qui me traversaient au quotidien. Elle m’a permis de conscientiser cette absence d’ancrage.»

À ce trouble, Miano répond par un mot: afropéanité. Une condition composée d’un héritage africain et de l’expérience sociale et citoyenne européenne.

Si elle diffuse et popularise le terme en France, sa genèse est plus ancienne. «De mes recherches d’historienne, dans les années 80 déjà, à la veille de la constitution de l’Union européenne, Audre Lorde, afroféministe, utilise déjà l’occurrence au contact des afro-allemandes qu’elle encourage à se nommer comme telle. Dans les années 90, le groupe belgo-congolais Zap Mama, avec l’album «Adventures in Afropea 1», contribue à diffuser le terme, mais dans un sens plus culturel que politique.»

Dans l’acception qu’en fait Pamela Ohene-Nyako, plus qu’un dialogue artistique entre l’Afrique et l’Europe, revendiquer son afropéanité permet «à des personnes afrodescendantes, vues comme Noires par leur phénotype, nées en Europe ou qui y vivent depuis longtemps, de se dire européennes et de s’affirmer dans cet espace géographique, social et politique. Oui, on peut être Noir et européen. On peut être Noir et suisse.»

L’afropéanité, ainsi comprise comme l’affirmation des personnes Noires en Europe et l’afrosuissitude, son expression helvétique.

Un atelier pour afrodescendant.e.x.s en quête de soi

Depuis sept ans, à la barre d’Afrolitt’, Pamela Ohene-Nyako, défend le potentiel libérateur des mots à travers toute une gamme d’activités: rencontres littéraires, modération, consultance, réalisation de webséries, animation d’ateliers.

Le 4 mai prochain, dans le cadre de «Y en a point comme nous!», la thématique de la saison 2023-2024 des Bibliothèques de la Ville de Lausanne qui explore les multiples facettes de la Suisse, elle posera l’afrosuissitude au centre des questionnements. Est-ce qu’il existe une manière afro-suisse d’être et de créer? Comment les afrodescendant.e.x.s se sentent en Suisse?

Pour alimenter les échanges, elle se servira de différents supports. Écrits, bien sûr, mais aussi sonores et audiovisuels. «En Suisse, nous disposons de productions qui posent déjà ces questions, cela tombe sous le sens de s’en servir. Je pense au film documentaire de la Suisso-Congolaise Rachel M’bon «Je suis Noires», qui, à travers le témoignage d’afrodescendantes, dénonce le racisme structurel en Suisse ou encore au podcast du Suisso-Rwandais Shyaka Kagame, «Boulevard du Village noir», qui retrace les imaginaires racistes qui perdurent dans ce pays. Côté littérature, parmi d’autres, je citerai Léonora Miano ou Johny Pitts.» L’atelier s’adressera, tous âges confondus, dès 16 ans, aux personnes qui s’identifient comme afrodescendantes, puisque les questions qui y seront traitées leur seront spécifiquement destinées. Toute autre personne sera bienvenue, mais dans une posture d’écoute, plus que de participation active.

Quand elle revient sur son propre parcours, Pamela Ohene-Nyako, déplore les outils qui lui ont manqué dans sa vingtaine: «ils me sont venus par la littérature et non par des espaces de parole. Il y a toujours une part de nous qui essaie de rendre à l’enfant qu’on a été, ce qu’on n’a pas eu. C’est peut-être un besoin plus fort chez moi que chez d’autres, mais cela me ferait plaisir que des jeunes soient présents, en dialogue avec d’autres générations».

Muriel Jost

Les trois recommandation de littérature afropéenne et afrosuisse de Pamela Ohene-Nyako

© Editions Brotsuppe

«I will be different every time. Schwarze Frauen in Biel / Femmes noires à Bienne / Black women in Bienne», sous la direction de Franziska Chutzbach, Fork Burke et Myriam Diarra, 2020, Editions Brotsuppe

«Ce livre documente l’histoire des femmes Noires à Bienne et se compose de récits, témoignages et photos. Ce qui m’a plu, c’est le parti pris. Le fait de s’écrire, de prendre la parole et de se dire en «je». Bienne illustre une page particulière de l’histoire Noire en Suisse. Une population moins importante que dans d’autres centres urbains suisses et une conscientisation peut-être plus vive parmi les afrobiennoises, grâce à l’influence, parmi d’autres, de Félicienne Lusamba, Suisso-Congolaise, première personne Noire, et de surcroît femme, à siéger au Conseil municipal de Bienne et première et seule femme à avoir été élue au niveau cantonal.»

© Ypsilon Editeurs

«Blues en noir et blanc», de May Ayim, 2022, Ypsilon Editeurs

«Militante afro-allemande et poétesse, compagne de luttes d’Audre Lorde dont l’œuvre a été saluée par Maryse Condé, le recueil de poésies «Blues en noir et blanc» de May Ayim, paru en 1995, vient seulement d’être traduit en français. Ce livre est une porte d’entrée à cette histoire-là, collective, militante, féministe et Noire dans l’Allemagne des années 80 et 90.»

© Massot Editions

«Afropéens - Carnets de voyages au coeur de l'Europe noire», de Johny Pitts, 2021, Massot Editions

«Johny Pitts, auteur, présentateur de télévision et photographe, né d’un père afro-américain et d’une mère anglaise, se met en quête de l’Europe Noire. De sa ville natale, Sheffield, à Lisbonne, en passant par Stockholm, il sillonne le continent à la rencontre des afropéen.ne.x.s, cartographie leurs identités multiples et nouvelles et livre, tout au long de ce voyage, le récit de sa propre expérience.» 

Rencontre par Pamela Ohene-Nyako

Afrosuissitude, ici et maintenant? Y a-t-il une manière particulière d’être Noir·e·x en Suisse? De se raconter? De créer? Au-delà des clichés, carcans et limitations auxquelles nous sommes confronté·e·x·s, l’idée de cet atelier participatif et incubateur est d’échanger autour de la thématique de l’afropéanité. Est-ce qu’on y adhère? Et surtout qu’est-ce qu’on en fait? Au menu, extraits de textes, de bandes sonores et audiovisuelles comme points d’appui pour nos discussions, visions et réalités multiples. Ouvert à toute personne s’identifiant comme afrodescendante. Toute autre personne bienvenue, mais dans une posture d’écoute, plus que de participation active.

  • Bibliothèque Chauderon, samedi 4 mai 2024 de 14h à 16h, dès 16 ans, sur inscription.
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