À la poursuite du silence perdu
Depuis octobre 2023, la Bibliothèque Montriond tente le Mardi silence une journée par semaine. Un dispositif qui, dans cet espace qui accueille tous les publics, trouve peu à peu sa place, entre adhésion et résistance. Reportage entre troisième lieu et accueil de tous les publics.
La genèse du mardi silence
Un mardi de printemps. Une bibliothécaire s’affaire dans les rayonnages. Plus loin, une dame lit le journal. Le long des fenêtres, une étudiante tape sur son clavier, des écoliers révisent leur certif et un grand-papa supervise les devoirs de son petit-fils. Tous se partagent le coin lecture. Et ceux qui parlent chuchotent. À la borne, une mère et son fils scannent en silence les livres empruntés. Dans l’espace jeunesse, un père et ses deux filles fouillent les bacs de BD et dans le canapé, à voix basse, une maman fait la lecture à son petit. À l’accueil, les bibliothécaires vaquent dans le calme. Le dispositif, ce jour-là, paraît concluant.
Si l’action débute seulement l’automne dernier, elle est le résultat d’une longue cogitation. Isabelle Cardis, responsable de la Bibliothèque Montriond, se souvient du mouvement déclencheur. «Depuis quelques années, je voyais des personnes littéralement reculer en arrivant à la bibliothèque. Elles entraient et repartaient, indisposées par le bruit. Cela m’a choquée et beaucoup interpelée.»
Située en bordure du parc de Milan, à l’étage inférieure d’une église et à proximité des écoles, prisée par les familles et tributaire de son exiguïté, les décibels prennent vite l’ascenseur à la Bibliothèque Montriond.
Au détour d’un reportage sur les troubles du spectre autistique, Isabelle Cardis découvre l’existence des «Quiet Hours». Des temps de sous stimulations sonores et lumineuses qui permettent aux personnes souffrant d’une grande sensibilité sensorielle d’évoluer sans stress ni anxiété dans des grandes surfaces anglo-saxonnes.
C’est le déclic.
Débattu parmi les collègues, le Mardi silence continue de diviser: «Je suis clairement à contre-courant. Nous sommes dans le modèle des bibliothèques troisième lieu. Un lieu de vie, favorisant le lien social. Cette action est très différente de ce que j’ai pu proposer jusqu’ici, moi qui clame haut et fort depuis 10 ans, qu’à Montriond, l’église, c’est à l’étage! Mais le troisième lieu, c’est aussi pouvoir accueillir tous les publics, y compris ceux qui cherchent le calme».
Entre troisième lieu et accueil de tous les publics
Depuis octobre passé, la communication du Mardi silence reste discrète. Une affiche sur la porte d’entrée et des flyers à l’accueil. «Honnêtement, ça ne marche pas toujours très bien. Il faudra peut-être imaginer d’autres moyens pour informer les gens», suggère Charlotte, bibliothécaire. Dominique, comme sa collègue, reconnaît que le dispositif n’est pas facile à faire respecter. «Certains mardis, je suis sceptique, mais je vois tout de même des personnes qui ne viennent pas les autres jours de la semaine.»
Susannah, habituée de 56 ans, salue la mesure: «C’est très bien, parce que le bruit ici, ce n’est pas que les enfants. Des adultes répondent au téléphone et parlent fort, je ne comprends pas». Karine, étudiante, apprécie l’initiative et y voit même une portée pédagogique: «Un jour par semaine, c’est un bon moyen de sensibiliser les enfants au silence». Pour Antoine et Reda, 14 ans, la bibliothèque est un refuge: «C’est dur de trouver des endroits silencieux pour étudier. Quand on en a besoin, on vient ici». Léonard, 10 ans, se montre intraitable: «Pour bien choisir les livres, il faut du calme». Sa mère pondère: «Le silence, c’est agréable, mais les enfants doivent être les bienvenus. Plus de bruit, parfois, c’est pas grave». Dans l’espace jeunesse, Julien avoue ne pas connaître le dispositif, mais ne le perçoit pas comme muselant pour ses filles de 5 et 7 ans. Dans le canapé, l’appréciation est toute différente. «Je fais ce qu’on me demande, déclare sèchement une jeune maman, mais il faudrait être plus attentif aux besoins des enfants, c’est tout.»
Toutes et tous différents, toutes et tous égaux
Pourtant, les besoins de tous sont bien au cœur des préoccupations de l’équipe d’Isabelle Cardis et plus largement du Service des bibliothèques et archives qui, depuis 2023, porte le label «Culture inclusive» de Pro Infirmis. Le silence des mardis permettrait, dans ce sens, de répondre aux besoins spécifiques des personnes neurodivergentes. En attendant de pouvoir l’assurer, Isabelle Cardis rappelle qu’il est toujours possible, pour les associations concernées, de bénéficier, comme pour les écoles, d’accès particuliers à la bibliothèque.
Au desk d’accueil, parmi les post-it, les stylos et une paire de chaussons qui attend son propriétaire, se détache un petit cahier intitulé «Prise de température, remarques et feedback quant aux mardis silence». On y lit, consignées, toutes sortes de réactions allant des remerciements à l’indignation. Mais ce que dit surtout ce cahier, c’est le souci d’une équipe qui, plus que tout, souhaite pouvoir contenter tous les publics.
Muriel Jost
Bibliothèque Montriond
Service des bibliothèques et archives
Avenue de la Harpe 2 bis
1007 Lausanne