Les tribulations du boulevard de Grancy
Si l’origine du nom du boulevard sous-gare reste mystérieuse, une chose est certaine: Lausanne ne possède qu’un boulevard, et son histoire est mouvementée!
Il n’existe qu’un seul boulevard à Lausanne: celui de Grancy. Il est intéressant de relater l’histoire de sa création. En 1872, une société privée, la Société foncière des Boulevards, se constitue dans le but de réaliser une opération immobilière sur des terrains qu’elle a acquis au sud de la gare de Lausanne. Ce projet couvre une vaste étendue comprise entre l’avenue d’Ouchy à l’Est et le rond-point de l’avenue du Mont-d’Or à l’Ouest, la rue du Simplon au Nord et l’avenue Edouard-Dapples au Sud. Deux buts sont poursuivis: revendre les terrains selon le plan de morcellement, mais aussi «contribuer à embellir la ville de Lausanne en créant un nouveau quartier à construire». Le projet prévoit la réalisation d’un grand boulevard de 15 mètres de large et de 600 mètres de long qui portera le nom de Grancy, sans que l’on connaisse à ce jour la raison de ce choix. Une autre voie en parallèle au Nord est également réalisée, qui prend le nom de boulevard Industriel.
La Société foncière des Boulevard relance en octobre 1873 sa proposition de transférer gratuitement ces deux voies au domaine public. En échange, elle demande que leur entretien soit pris en charge par la Ville. La Municipalité refuse cette offre, le coût du transfert et du futur entretien lui paraissant exorbitant. La société foncière est contrainte de vendre à chaque acquéreur d’une parcelle une part correspondante aux voies d’accès.
A la suite d’une pétition des propriétaires, la Municipalité propose en 1892, par voie de préavis, l’incorporation du boulevard de Grancy au domaine public. Elle remarque que le quartier s’est embelli, que sa valeur a augmenté et que ceux qui y ont consacré leurs deniers ne bénéficient d’aucun service public. «La chaussée se trouve parfois impraticable et pas d’éclairage, pas de balayage, pas de raclage de boue, mais des mares à tous les pas». La reprise de l’artère implique aussi des travaux d’achèvement: établissement de la chaussée, construction d’un nouveau collecteur des eaux usées et pose de candélabres. Mais ces dépenses et les futurs frais d’entretien sont largement compensés par les impôts payés par les propriétaires et les locataires. Le préavis est voté par le Conseil communal le 20 juin 1892 et l’acte de cession passé le 13 avril 1893.
En mai 1894, la Municipalité soumet aux propriétaires, via la Société de développement des quartiers sous-gare, fondée quelques mois plus tôt, un projet de numérotation des immeubles. Les propriétaires adhèrent tous au projet municipal. Ils réclament, en sus, que le boulevard industriel soit rebaptisé «rue du Simplon». Une enquête publique est ouverte à ce sujet en septembre 1894, au cours de laquelle le Syndic Samuel Cuénoud regrette que le mot d’«avenue» n’ait pas été appliqué, alors que le terme de «boulevard» n’a jamais été employé officiellement à Lausanne. Il propose de nommer les deux voies «avenues», par analogie avec celles du Théâtre, de Georgette et de la Gare. Après une nouvelle enquête et consultation des propriétaires, la Municipalité décide finalement, en décembre 1894, de maintenir la dénomination de «Boulevard de Grancy» pour l’une et d’«Avenue du Simplon» pour l’autre. Cette dernière redeviendra simple «rue» dès 1937.
Jean-Jacques Eggler, archiviste adjoint
Les Archives de la Ville de Lausanne
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