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Karine Tassin

Karine Tassin a vu sa vie basculer lorsqu’on lui a diagnostiqué un cancer du sein, début 2019. Si le sport, en dilettante, avait toujours fait partie de son équilibre, la maladie a bouleversé sa pratique. Grâce au programme «Ramer en rose», elle a trouvé un lieu où elle pouvait être elle-même, sans masque, sans avoir à jouer le jeu de la «bien-portante» ou de la «femme courageuse». L’aviron, comme un phare au milieu de la tempête. 

© Ville de Lausanne / Loris Raselli

Qu’est-ce qui vous a amené à pratiquer l’aviron?

Le 7 mars 2019, on m’a diagnostiqué un cancer du sein. J’avais 52 ans. En quelques secondes, ma vie a basculé de bien-portante à malade. Un nouveau parcours, celui des soins, est devenu ma réalité au quotidien: rendez-vous médicaux à la chaîne, batterie de contrôles et attente. Une traversée de plusieurs mois où j’ai dû acquérir la résistance d’une marathonienne pour supporter les traitements et défier la peur.

Le sport, en dilettante, a toujours fait partie de mon équilibre : yoga, pilate, gym à la maison, course à pied, natation, marche, etc. Mais, dans le contexte de la maladie, la pratique d’une activité dans le groupe de «pilate» que je fréquentais à l’époque était devenue impensable. J’avais besoin de trouver un espace où je pouvais «être moi» sans masque, sans avoir à jouer le jeu de la «bien-portante» ou de la «femme courageuse». Ma collègue de travail m’avait, à l’époque, parlé du programme «Ramer en rose», mis en place par le Rowling Club de Lausanne avec le soutien du centre de sénologie du CHUV, le Réseau Lausannois du Sein et la Ligue vaudoise contre le cancer. L’idée de «ramer sur le lac» m’a tout de suite emballée, mais je n’ai pu rejoindre le groupe que quelques semaines après l’opération et un entretien avec l’équipe d’encadrement.

Qu’est-ce que l’aviron vous a apporté, durant votre combat contre la maladie?

L’aviron a été comme un phare au milieu de la tempête: une lumière à laquelle se raccrocher quand on perd tous ses repères. Il m’a offert un horizon et une ouverture vers une nouvelle pratique, vers une communauté de femmes qui, tout comme moi, vivaient la même galère et vers une «nouvelle» santé. Avec une équipe d’encadrement qui, par beau ou mauvais temps, a toujours su nous accueillir et nous accompagner dans ce périple qui était le nôtre. J’y allais une à deux fois par semaine, les mardis ou les vendredis. Ces rendez-vous réguliers, ponctués de messages encourageants et bienveillants de nos coaches, m’ont été d’un grand soutien tout comme le groupe WhatsApp de rameuses que nous avons très vite formé.

La transition vers la section loisir du club s’est faite progressivement, d’abord avec les «copines» d’ex-Ramer en rose avec qui j’ai continué à ramer, quand je le pouvais, le vendredi matin. La crise sanitaire n’a pas arrangé les choses: le club a dû fermer, puis avec les mesures qui changeaient tout le temps, je n’arrivais pas à trouver un rythme. Un soir du mois d’avril 2021, j’ai décidé de me lancer à l’eau et de rejoindre les rameurs·euses du Rowling Club de Lausanne. Il m’aura fallu presque deux ans pour faire ce «saut». Et le voyage ne fait que commencer: j’ai tant de choses à apprendre encore. 

Quels sont les conseils que vous donneriez à une personne atteinte dans sa santé pour l'encourager à pratiquer une activité physique régulière?

Une maladie et en particulier un cancer est une atteinte globale à sa santé tant physique, psychique que sociale (et je dirais même spirituelle). On peut choisir de pratiquer un sport seul ou en groupe. J’ai fait les deux d’ailleurs, mais le fait d’avoir un rendez-vous régulier et de retrouver les «copines» a été d’un grand soutien.

La présence des coaches était, elle aussi, très motivante, car il faut bien l’avouer: certains jours, je me sentais vraiment mal et j’avais les jambes tellement lourdes, que la simple idée de faire un effort était pénible.

La dimension sociale alliée à un cadre magnifique ont été d’incroyables catalyseurs durant cette période. Le risque de se refermer et de se replier sur soi est réel avec toutes les conséquences que cela peut engendrer au niveau mental. Je reste convaincue que la pratique d’une activité physique régulière m’a permis de mieux récupérer pendant et après les traitements. Le parcours d’une personne atteinte d’un cancer se poursuit bien au-delà des traitements: c’est une hygiène de vie globale qu’il faut mettre en place sur la durée et l’activité physique y joue un rôle central.

Quels sont les conseils que vous donneriez à un club qui souhaite accueillir dans ses groupes des personnes atteintes dans leur santé ?

Je ne suis pas sûre de pouvoir donner des conseils, mais je peux partager mon expérience sur ce qui a été important pour moi: m’être sentie accueillie dans ma maladie par des personnes compétentes et humaines, me retrouver dans un espace protégé, être respectée dans mes limites physiques ont été autant d’éléments que j’ai particulièrement appréciés. Sans pour autant faire de concessions, car la pratique de l’aviron est un sport exigeant qui implique la maîtrise d’un certain nombre de gestes techniques qu’il faut apprendre. Et, dans ce domaine, nous n’avons pas été épargnées : nos coaches avaient toujours un œil sur nous.

Enfin, on ne saurait trop le rappeler: l’humour est le plus bel outil de guérison. Ne nous en privons pas et encore moins quand la maladie vient frapper à notre porte. L’un et l’autre font très bon ménage.

Quel est votre souhait pour l'avenir, en matière d’égalité dans le sport?

Mes deux filles pratiquent un sport - le tennis de table et le jujitsu  - dans lesquels la présence féminine est minoritaire, surtout dans le domaine de la compétition. Ce que je souhaite pour l’avenir est que chaque enfant ou adulte puisse se sente libre de pratiquer le sport qui lui convient en s’affranchissant de tous les clichés et les stéréotypes. Je trouve terrible que sous la pression familiale ou l’injonction d’une société normative, des femmes ou des hommes s’interdisent (voire s’autocensurent) à pratiquer un sport dans lequel elles ou ils pourraient s’épanouir. Si l’on part de la personne et que l’on met son plaisir au centre, les clichés ne devraient plus avoir droit de cité, mais je sais qu’ils ont la vie dure.

Les apports d’un sport collectif, y compris l’adhésion à un club, vont bien au-delà de la simple pratique d’un sport et j’aimerais que toutes les personnes qui le souhaitent puissent rejoindre l’activité ou le club de leur choix.

Auriez-vous des propositions pour encourager l’activité physique des femmes?

L’activité physique fait partie intégrante de ma santé et de mon équilibre. Le sport exige que l’on prenne du temps pour soi, même si l’on peut aussi le pratiquer en famille.

Je pense que beaucoup de femmes n’osent ou ne se donnent pas le droit de s’accorder ce temps pour elle : entre travail, famille, tâches domestiques et soins aux parents, le sport se pratique dans la marge et à proximité de chez soi, tôt le matin ou en fin de soirée. Fréquenter un club n’est pas toujours évident quand son agenda est déjà bien rempli.

Je crois que l’envie des femmes est là, mais encore faut-il créer les conditions pour faciliter son accès et mettre en place des mesures incitatives : pourquoi n’installerait-on pas des espaces d’entraînement attractifs dans les parcs et les jardins où les parents et les femmes, en particulier, pourraient expérimenter le plaisir du mouvement. La Ville de Lausanne offre de nombreux espaces verts ou des places que l’on pourrait certainement rendre beaucoup plus vivants et animés autour de la «joie de bouger».

Pourquoi vous êtes-vous impliquée dans la campagne «Laissons les stéréotypes au vestiaire» de la Ville de Lausanne?

En tant que femme et mère de deux filles, il m’est arrivé d’entendre «mais, c’est (en parlant du jujistu) un sport de garçon, tu vas prendre des coups!». Inversement, une minorité d’hommes font le pas de venir suivre un cours de yoga. Les mentalités évoluent, mais le discours «populaire» est encore bien présent, et nombre de sports ont un «genre».

C’est pour lutter contre toutes ces formes de discrimination que je m’implique aujourd’hui dans cette campagne. Et ce n’est qu’en changeant l’image qu’on se fait d’un sport qu’on peut amener les femmes à pratiquer des activités dans lesquelles elles n’auraient peut-être pas osé se lancer. Nombre de femmes ont ouvert la voie dans le domaine sportif et sont, en ce sens, des modèles pour les jeunes générations.

J’espère que cette campagne va contribuer à libérer les pratiques comme les esprits et à donner aux femmes le courage d’assumer pleinement leur choix. Et qu'elles en soient fières surtout.