Le Centre BD de la Ville de Lausanne
La bande dessinée, art populaire majeur dès le 20e siècle, constitue un patrimoine culturel à part entière. Le Centre BD enrichit et conserve l’une des plus riches collections européennes du 9e art. Tour d’horizon de ses missions et collections!
Il était une fois le Centre BD…
L’histoire du Centre BD de la Ville de Lausanne s’inscrit dans celle du 9e art. En effet, en francophonie, le médium acquiert ses premières lettres de noblesse dans les années 1970, lorsque la bande dessinée commence à être destinée également à un lectorat adulte. À cette époque, la question de sa conservation n’a pas encore vraiment émergé, que cela soit en Europe ou aux États-Unis, et les institutions muséales s’intéressent peu à ce médium pourtant déjà centenaire. À Lausanne, c’est grâce à Pierre-Yves Lador, grand amateur du genre et directeur de la Bibliothèque municipale de 1979 à 2002, que les premières acquisitions de bandes dessinées sont réalisées. La Bibliothèque municipale de Lausanne devient ainsi l’une des premières institutions européennes de lecture publique à organiser un service de prêt de bandes dessinées!
Dans les années 1990 et de manière organique, ce riche catalogue permet de créer les premières collections du Centre BD, avec des échanges et l’achat de collections complémentaires. En parallèle, un réseau d’amatrices et d’amateurs de bandes dessinées se forme, et le Centre BD commence à accueillir les dons de collectionneurs privés. La professionnalisation se poursuit avec la création d’un poste de conservateur et de documentaliste.
La bande dessinée comme patrimoine
«Pierre-Yves Lador était un passionné, un précurseur et un collectionneur dans l’âme. Il s’est donné les moyens d’amasser beaucoup de choses rares quand c’était le bon moment de le faire» souligne Sophie Pujol, adjointe responsable du Centre BD en fonction depuis 2022. En effet, l’engouement marchand pour la bande dessinée nourrit une inflation peu rationnelle depuis le début du 21e siècle. «Dans les années 1970, la bande dessinée est en plein essor, mais encore bien loin du marché actuel. La volonté d’acquérir systématiquement toutes les nouveautés est envisageable. Cette recherche d’exhaustivité est ce qui fait en partie la richesse du fonds aujourd’hui. Les documents conservés datent de la fin du 19e siècle à nos jours», précise Sophie Pujol. «Arrivée à un certain volume et une certaine diversité, l’acquisition devient difficile, sans parler de l’explosion des prix! Le marché grandit et se développe dans des directions très variées, on ne sait plus comment prioriser. Le rêve de l’exhaustivité disparaît peu à peu» résume encore l’adjointe.
Au tournant des années 2010, une politique de collection est mise en place, en adéquation avec les principales missions du Centre BD que sont la conservation, l’étude et la diffusion du patrimoine de la bande dessinée suisse. La Suisse regorge d’autrices et d’auteurs BD francophones, italophones et germanophones!
La politique de collection et la conservation préventive
«Pour définir ses missions, une institution patrimoniale doit se poser 3 questions fondamentales: Pourquoi (faire)? Pour qui? Et comment? La question des moyens permet d’être réaliste, de rationaliser les ressources et d’adapter les missions, tout en faisant connaître les besoins encore non-remplis», résume Sophie Pujol.
La politique de collection est l’outil qui permet d’encadrer et de raisonner les acquisitions. Elle répond à la première question «pourquoi». Pour le Centre BD, la collecte vise à témoigner de l’histoire de la bande dessinée en Suisse, aujourd’hui et pour les générations futures. Pour ce faire, l’institution acquiert des œuvres éditées et originales d’artistes ayant un fort lien avec la Suisse, ou dont l’œuvre traite d’un sujet en lien avec la Suisse, ou encore des œuvres éditées en Suisse. «Le Centre BD collecte également de quoi constituer une histoire de la bande dessinée telle qu’elle a été vendue et lue en Suisse, car cela permet de rendre compte des tendances et des influences culturelles» détaille la responsable.
La question des publics, qui répond à la deuxième question «pour qui», est également très importante. Avec la présence, à l’Université de Lausanne, de chercheuses et chercheurs en bande dessinée, le travail de documentation de l’institution passe également par l’acquisition d’une importante collection de revues et monographies consacrées à l’étude de la bande dessinée.
La réponse à la troisième question «comment» peut, quant à elle, se résumer à celle de la conservation préventive. «C’est l’un des plus gros défis, qui passe par la lutte contre la dégradation naturelle des matériaux, ainsi que par l’inventaire et le catalogage. Il n’y a rien de plus inutile dans une collection patrimoniale que des objets sans documentation et information de base, et qui se dégradent», souligne Sophie Pujol.
Pour le Centre BD - comme pour la majeure partie des institutions muséales -, il s’agit donc non seulement de collecter, mais également d’assurer la conservation à long terme des documents et objets. Pour ce faire, de nombreux savoir-faire et ressources sont nécessaires. «La bande dessinée est produite collectivement et principalement sur du papier journal et magazine, qui n’est pas fait pour durer. Nous cherchons donc à conserver un produit jetable, c’est complètement antinomique» relève Estelle Gautschi, archiviste-documentaliste. D’autres défis attendent l’équipe du Centre BD, tels que déménager les collections dans des locaux de stockage adaptés, ainsi que trouver les meilleurs outils informatiques permettant d’inventorier et cataloguer chaque document ou ensemble de documents.
Valoriser et rendre accessible
«Saviez-vous que l’on peut augmenter ses ressources en les partageant?» nous interpelle Sophie Pujol. «Mettre en commun les efforts de collectes, d’inventaires, de numérisations avec d’autres institutions de bande dessinée dans le monde permet de ne pas faire le travail à double. Cela permet également de connaître les politiques de collections de chaque institution et de pouvoir orienter les chercheuses et les chercheurs en fonction de leurs besoins» précise l’adjointe.
L’accessibilité passe également par le développement de partenariats culturels et le prêt de documents auprès d’institutions muséales disposant d’espaces d’expositions. Pour être présent dans l’espace public lausannois, le Centre BD commissionne chaque année, dans le cadre du festival BDFIL, une exposition interdisciplinaire mettant en avant des recherches et des thèmes à la fois historiques, artistiques et sociologiques. Pour l’édition 2025, qui a lieu du 5 au 18 mai, l’exposition «MANGAFIL: une aventure éditoriale en francophonie» met en lumière l’arrivée et le succès du manga en Europe francophone.
Le Centre BD s’insère donc dans un maillage d’institutions travaillant chacune dans des domaines de compétences définis par leur rattachement de tutelle et leurs missions. Toutes ont beaucoup à gagner en fonctionnant en réseaux professionnels, dans le but de conjuguer leurs efforts au bénéfice des publics, de défendre leur place dans la société et de lutter contre la dispersion des moyens. De sorte que l’ensemble brille au firmament et ne se résume pas à une addition de météores!
Le Centre BD de la Ville de Lausanne en chiffres
- 2,2 EPT: 1 adjointe à 80%, 1 archiviste-documentaliste à 80%, 1 archiviste-documentaliste à 50%, 1 aide-bibliothécaire à 10%;
- Environ 2’500 acquisitions par années, hors dons;
- Près de 90'000 albums de bandes dessinées, comics et manga principalement;
- Près de 50'000 périodiques de bande dessinée;
- Environ 5’000 monographies ou périodiques portant sur la thématique de la bande dessinée;
- Environ 5'000 œuvres graphiques dont des planches originales;
- Des centaines d’objets dérivés en tous genre.
Line Lanthemann
Le Centre BD de la Ville de Lausanne
Service des bibliothèques et archives
Rue du Maupas 47
1004 Lausanne