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Y’en a point comme Yvette Jaggi!

Dans le cadre d’une projection du film que l’Association Films Plans-Fixes lui a consacré en 1998, Charline Dekens, responsable des Archives, s'est plongée dans les discours tenus par Madame la Syndique de 1990 à 1997. Hommage à la première et unique Syndique de Lausanne. 

Rose-verte

En 1993, Yvette Jaggi est tacitement réélue à la syndicature de Lausanne en l’absence de toute candidature concurrente. Quatre ans plus tôt, elle est non seulement devenue la première syndique de Lausanne, mais elle a également renversé, avec ses colistiers, la majorité de droite au pouvoir depuis quarante ans. A l’affiche, leurs slogans misent sur une «syndic de tempérament» pour une «ville de talent» qu’ils veulent voir «en rose».

Cette même année 1993, Alain Souchon chante quant à lui «la vie en rose» dans son plus grand succès intitulé «Foule sentimentale», mais dénonce «le rose qu’on nous propose, d'avoir les quantités d'choses, qui donnent envie d'autre chose». Forte, entre autres, de sa qualité d’ancienne directrice de la Fédération romande des consommatrices, la syndique socialiste militera toujours pour une consommation réfléchie et respectueuse de l’environnement. Et comme Souchon qui moque le prêt à porter et à penser, elle n’aura de cesse de faire valoir ses idées et de défendre le fond et pas seulement la forme. Elle partage évidemment avec cette «foule sentimentale» une «soif d’idéal». De l’inspiration de l’artiste parisien au franc-parler de la politicienne vaudoise, au fond, il n’y a qu’un pas.

Engagée

Votre archiviste a sorti de leur magasin les cinq épais classeurs de discours tenus par Madame la syndique de 1990 à 1997, précieusement conservés par les AVL (fonds C22 Syndic). Car, si les archives audiovisuelles des AVL ou de la RTS témoignent d’une Yvette Jaggi en parfaite communicante (n’en déplaise à certains journalistes bien de leur temps), voilà une femme qui prend le parti de s’afficher paire de lunettes à l’appui de la bonne couleur pour sa campagne électorale de 1989 à travers les slogans déjà cités.

Et qui résume sans détour, face caméra en 1992, les réactions de l’opposition à son élection: «socialiste, ça plaît déjà pas, mais en plus, une femme, ça, franchement, ça fait chenit.» (1) Or dans les discours de l’ancienne syndique se dégage une clarté de vue et une cohérence sur les combats qu’elle mène et qu’elle entend mener, où le chenit n’a pas sa place!

Visionnaire

Des discours, des allocutions, de simples mots ou de longues conférences, Yvette Jaggi en a tenu à toute sorte d’auditoires et sur toute sorte de sujets en sept d’ans d’exercice de la syndicature. Elle maîtrise les codes de ce rite et les rituels qui l’entourent, rite que l’on ne saurait réduire à un simple exercice de communication, en rappelant comme il est systématiquement indiqué sur chaque document, que «seul le texte prononcé fait foi.»

Pour celle qui revendique «avoir une idée d’avance», c’est-à-dire «penser aux affaires publiques en des termes qui ne sont pas encore des lieux communs, travailler dans une perspective à long terme, et poursuivre les objectifs publiquement fixés», chaque discours représente une séquence forte. (2) Il s’agit d’abord d’une marque de respect qu’elle doit à son public quel qu’il soit. Ensuite, c’est l’occasion pour elle de célébrer ses valeurs et de faire circuler son souffle, son enthousiasme, grâce à une narration qui fait très souvent appel à l’Histoire.

Urbaine

L’intellectuelle Jaggi, qui aime lire et s’informer par-dessus tout, estime en effet que «rien ne vaut la lecture du passé pour comprendre le présent et prendre les justes orientations vers l’avenir.» (3) Bien plus qu’une «ville difficile» à gouverner, la syndique et sa «famille municipale» ont réussi à faire de Lausanne, «une-grande-ville-peut-être-bien-que-oui-peut-être-bien-que-non», «la plus petite des cinq grandes villes», en définitive une «ville fière» d’elle-même. (4)

Il s’agissait de (re)donner aux Lausannoises et Lausannois «le sentiment d’appartenir à une communauté dynamique, qui maîtrise la direction et le rythme de son développement», un développement voulu surtout qualitatif, en donnant la priorité aux habitantes et habitants, à la qualité de vie, et à l’animation locale. (5) A l’appui d’une «véritable politique de communication» passant par la publication novatrice d’un programme de législature et la création du journal communal, l’élue n’aura de cesse de vanter les atouts de sa ville de cœur à toutes ses assistances. (6)

Européenne

Consciente que «ce qui fait le succès touristique d’une région, c’est son image de marque» et qu’«il serait vain de vouloir «vendre» une image positive à l’extérieur si celle-ci est négative à l’intérieur», la syndique rappelle que Lausanne n’a été une ville ni paysanne ni industrielle mais bel et bien tertiaire, un secteur par définition volatile qui l’a obligée à miser aussi sur le secteur primaire en cultivant ses forêts, domaines et vignobles. (7) A ce titre, son atout le plus fort à long terme reste «la qualité du paysage et la préservation du site, en nous donnant les moyens de créer des événements sportifs et culturels de qualité.» (8)

Pour «Super-Yvette», ce site n’est pas qu’«une commune parmi les 385 que compte encore le canton»; il est le cœur d’une agglomération qu’elle appelle à devenir le centre d’une région européenne à créer, une métropole lémanique, face à la place économique et financière qu’est Zurich. (9) Avec tout ce que cela exige en matière de revendications auprès du Canton et de rapprochement avec la Berne fédérale, notamment en matière de «bataille du rail»...

Solidaire

Enfin, «une ville, c’est surtout des habitants. La chaleur de l’accueil n’est peut-être pas notre spécialité, mais nous sommes toujours disposés à nous laisser apprivoiser, surtout si on y met le temps.» (10) Car du temps, il en faut en toute chose: pour développer la connaissance et le respect mutuels entre hommes et femmes, jeunes et vieux, citadins et campagnards, à l’image de la création de la manifestation «Lausanne Jardins» en 1997, qui veut « montrer par l’exemple combien les compétences des uns sont indispensables aux autres.» (11)

Pour Yvette Jaggi, pas de doute, elle et nous sommes inséparables: «élus et citoyens de cette commune, définitivement liés dans l’aspiration générale et souvent confuse, à l’autrement, et profondément unis dans la difficile recherche du mieux, du mieux faire politique, comme du mieux-être en société et dans sa propre peau.» (12) En cela, la ville a un «grand pouvoir émotionnel», elle constitue un lieu d’expérimentation sociale toujours en crise, indépendamment du «stress financier» dont elle souffre à partir des années 1990. (13)

Féministe

Celle pour qui la condition de minoritaire a toujours été «un levier extraordinaire» et a renforcé sa fidélité à ses «caractéristiques» (femme, de gauche, latine), n’hésite finalement pas à affirmer que «quand le patron est une patronne, les employés doivent percevoir la différence – c’est du moins ainsi que j’ai compris ma tâche comme syndique de la Ville de Lausanne». (14)

Convaincue que la condition de la femme est un bon critère de progrès social, son constat est sans appel en 1996: il y a «encore beaucoup à lutter pour un partage plus équitable des responsabilités et du pouvoir, d’entente avec les hommes émancipés, tant il est vrai que la promotion de la femme ne peut se faire qu’en parallèle avec la libération des hommes.» (15) Certes, Yvette Jaggi n’hésite pas à faire sienne la devise de Coubertin: «l’important, c’est de participer», mais, non, vraiment, «ce n’est pas le moment de mollir» pour reprendre le titre du livre qu’elle publie en 1991.

Sources

  • (1) Emission spéciale d’Infos RL «Les années Jaggi» diffusée sur la Télévision de la région lausannoise, 5 janvier 1998.
  • (2) Brève allocution à l’occasion de la présentation du bimensuel «Persönlich» , Hôtel Beau-Rivage, 22 mai 1992.
  • (3) Allocution à l’occasion du vernissage de l’exposition «La bataille du rail», Musée historique, 3 avril 1997
  • (4) Livre «Ce n’est pas le moment de mollir», 1991. Interview d’Yvette Jaggi par Jean-Marc Richard dans l’émission Les Matinales diffusée sur Radio Acidule le 1 janvier 1991. Discours à l’occasion du Congrès de la Société suisse de statistique et d’économie politique, Université de Lausanne, 3 avril 1992.
  • (5) Allocution à l’occasion de l’Assemblée générale de la Société industrielle et commerciale, 26 mars 1990. Discours à l’occasion de l’Assemblée générale de la Société des hôteliers de Lausanne-Ouchy, 7 juin 1990.
  • (6) Allocution à l’occasion de l’Assemblée générale de la Société industrielle et commerciale, 26 mars 1990.
  • (7) Discours à l’occasion de l’Assemblée générale de la Société des hôteliers de Lausanne-Ouchy, 7 juin 1990. Discours à l’occasion de la Journée des préfets, Boscal, 30 août 1994.
  • (8) Allocution à l’Assemblée générale de l’Office du tourisme et des congrès de Lausanne (ADIL), Casino de Montbenon, 19 juin 1990.
  • (9) Article de Pierre Huguenin paru dans L’Hebdo, 23 mars 1995. Allocution à l’occasion d’une manifestation en l’honneur de Josef Zisyadis, nouveau Conseiller d’Etat, 1er juillet 1996. Intervention à l’occasion de la conférence de presse annuelle de l’Union des villes suisses, 4 septembre 1992. Allocution à l’occasion de la cérémonie officielle du 1er août, terrains de sports des Bossons, 1er août 1996.
  • (10) Mot de la syndique à l’occasion d’un colloque organisé par l’EPFL sur l’interface en matière de formation entre les hautes écoles et le monde professionnel, Château d’Ouchy, 6 septembre 1990.
  • (11) Allocution à l’occasion de l’inauguration de la Foire suisse de la machine agricole, Palais de Beaulieu, 23 janvier 1997.
  • (12) Allocution à l’occasion du vernissage de l’exposition de Jean-Pascal Imsand, Espace Retraites populaires, 4 octobre 1990.
  • (13) Allocution à l’occasion du 25e anniversaire de l’Institut de recherche sur l’environnement construit et du débat sur la crise de l’urbain, 20 novembre 1996. Exposé à l’occasion du Colloque de l’Office fédéral du personnel sur les villes et l’urgence d’agir, Montreux, 21-22 novembre 1995.
  • (14) Mot de la syndique à l’occasion d’un colloque organisé par le Programme de littérature comparée de l’Université de Lausanne sur les littératures minoritaires, Hôtel de Ville, 24 septembre 1990. Résumé de la conférence de la syndique intitulée «L’égalité femmes-hommes dans la foi, la loi et la vie», Zurich, 3 novembre 1997.
  • (15) Allocution à l’occasion de la conférence «25 ans d’émancipation? Les femmes en Suisse, 1971-1996», Glasgow, 31 mars 1996.
  • En bonus: Une réaction à sa victoire, interrogée par le journaliste de la RTS Jacques Vallotton, le 26 novembre 1989.

Charline Dekens, responsable des Archives, février 2024

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