En 1823, un respectable médecin suisse connu sous le nom d’Enrique Favez est arrêté, emprisonné et jugé à Cuba. Selon l’accusation, Favez est une femme et donc passible d’une condamnation pour s’être habillée en homme, avoir trompé les institutions médicales, coloniales et religieuses de l’île afin d’exercer la médecine de manière illégale en tant que femme et contracté un mariage avec une personne du même sexe. S’ensuit un procès où le corps de Favez est soumis à l’examen humiliant d’un comité de médecins qui décrète publiquement qu’il
s’agit bien d’un corps de femme. Favez doit désormais répondre face au tribunal sous le nom d’Enriqueta Favez.
Favez raconte lors de son procès avoir vu le jour à Lausanne vers 1791. Identifiée comme une fille, orpheline, la petite Henriette est confiée à un oncle, colonel dans l’armée napoléonienne. Mariée à 15 ans à un soldat français, elle perd son mari et un bébé avant ses 18 ans. Elle reprend le grade d’officier de son mari décédé et, sous sa nouvelle identité d’homme, décide d’accomplir son rêve: devenir médecin, une profession qui n’est pas ouverte aux femmes. Henriette s’inscrit à la Sorbonne.
Diplôme en poche, Favez sert dans l’armée française en tant que chirurgien pendant les guerres napoléoniennes, jusqu’à sa capture et son emprisonnement en Espagne. Après la guerre, il s’installe à Cuba en 1818. Anti-esclavagiste, il soigne essentiellement la population indigène, tout en s’intégrant dans l’élite coloniale. Il épouse Juana de Léon, une jeune métisse. Trois ans après son mariage, la rumeur que Favez serait une femme commence à circuler. Pour sa défense, Favez fait valoir qu’en ayant porté des vêtements d’homme, étudié et pratiqué la médecine avec succès, il a contribué à faire le bien. Pour les juges, le comportement de Favez porte atteinte à l’autorité des institutions religieuses et politiques de l’île. Afin de préserver l’ordre social dominant, le mariage est annulé et Favez est condamné à une peine d’enfermement de 4 ans.
Expulsé de Cuba, Favez est exilé à la Nouvelle-Orléans et passe le reste de sa vie sous le nom de Sor Magdalena, infirmière aux Filles de la charité avant d’occuper le poste de mère supérieure de cette congrégation. Favez continuera à fournir une aide médicale aux populations les plus précaires jusqu’à sa mort.
* Le parcours hors du commun de cette personne nous invite à réfléchir à la diversité à travers laquelle le genre s'exprime. Nous en savons peu sur les choix ou les questionnements identitaires de Favez. Mais sa trajectoire montre que l'assignation à un sexe à la naissance n'empêche pas, à son époque comme aujourd'hui, des expressions de genre variées, l'occupation de rôles multiples et des identités de genre diverses.
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