Lucienne Schnegg

Il n’y a pas de hasard: Lucienne Schnegg, incarnation lausannoise de l’amour du cinéma, grandit à Tavannes, dans le Jura bernois, dans la maison de la famille qui possède le cinéma Royal. Le dimanche, pendant que sa mère joue aux cartes au tea-room, elle se glisse en catimini avec sa sœur jusqu’au balcon du cinéma.

À 24 ans, elle entre comme secrétaire au cinéma Capitole, rue du Théâtre à Lausanne. Ouvert en 1928, c’est alors (et toujours), le plus grand cinéma de Suisse, avec 1100 places – puis 860 après une rénovation en 1959. Des années fastes: le cinéma emploie 25 personnes dont 6 placeurs en uniforme, le public d’après-guerre est friand de sorties et de films, et n’a pas encore la télévision. Lucienne Schnegg en prend la direction en 1956. Elle accueille toutes les grosses productions américaines. Le Jour le plus long affiche complet, par exemple, tous les soirs durant un mois.

À 71 ans, elle devient enfin propriétaire du lieu qu’elle considère comme sa «maison». La cinéaste Jacqueline Veuve lui consacre un émouvant film documentaire intitulé «La petite dame du Capitole», qui sort en 2010. La même année, à l’âge de 85 ans, elle vend la salle à la Ville de Lausanne, qui l’affecte à la Cinémathèque suisse pour en faire le cœur de la future Maison du cinéma.

En 5 décennies d’un parcours magnifique, Lucienne Schnegg a incarné aux yeux de 3 générations de Lausannoises et de Lausannois l’amour, le plaisir et le respect absolu du cinéma. Elle a vu modes, vedettes et innovations techniques se succéder, recevant la reine d’Espagne, Audrey Hepburn et Roger Moore avec le même enthousiasme qu’elle manifeste à l’arrivée du cinémascope dans les années 1950.

Face au développement des multiplexes, qui rend difficile d’obtenir des films lorsqu’on n’est liée à aucun groupe, elle fait de la résistance: elle convainc ainsi des géants comme Walt Disney de lui céder l’exclusivité de ses dessins animés à Lausanne parce qu’elle est la seule à s’en tenir à la norme de 24 images par seconde, contrairement aux multiplexes qui les diffusent alors en léger accéléré, avec 2 images de plus par seconde, gagnant du temps au détriment de la qualité artistique. Nul doute que cette grande petite dame serait ravie que sa salle continue de combler des générations de passionnées et de passionnés du cinéma!