Sorcière! Telle est l’accusation faite à Jaquette, veuve de Junod de Clause. Le procès se déroule au château d’Ouchy, où Jaquette est emprisonnée, en 1469. On l’accuse tout à la fois d’avoir pactisé avec le diable, dont elle porterait la marque, renié Dieu et participé à un sabbat, une assemblée nocturne de sorcières.
Ses beaux-fils Antoine et Mermet, eux aussi emprisonnés pour hérésie, assurent l’avoir vue «dans la secte des hérétiques à Vufflens-la-Ville». Jaquette dérange à plus d’un titre: en tant que veuve et marâtre d’une part, la société d’alors se méfiant des femmes aux statuts civils irréguliers. Mais elle pourrait aussi avoir servi de prétexte à 2 hommes ayant ici des intérêts: le propriétaire d’un fief dont les de Clause sont tenanciers et l’évêque des diocèses de Lausanne, Genève et Sion, qui pourrait chercher à étendre son pouvoir dans la région de Vufflens-la-Ville.
Le procès débute le 10 décembre 1469 devant de nombreux témoins. Durant 4 jours, interrogée par l’inquisiteur épiscopal, elle assure ne rien savoir des raisons de sa détention. Interrompu par Noël, le procès reprend le 18 janvier. Jaquette est condamnée à «être soumise à la torture jusqu’à ce que la vérité sorte de sa bouche». Elle subit l’estrapade, soit la suspension par les bras attachés dans le dos, ce qui provoque une dislocation des épaules. Elle avoue le lendemain.
On ne saura jamais si Jaquette a connu le bûcher, les minutes de son procès, conservées dans un registre des Archives cantonales vaudoises, s’interrompant brusquement. Mais c’est peut-être un conflit de pouvoir entre l’évêque et Lausanne qui pourrait l’avoir sauvée: les franchises lausannoises interdisant que des gens n’habitant pas directement la ville soient torturés, cette dernière pourrait avoir interrompu son procès.
Après le procès de Jaquette, première «sorcière» lausannoise, les autorités du Pays de Vaud brûleront de nombreuses personnes, en majorité des femmes, pour crimes de sorcellerie. Ces procès ne se raréfieront qu’au cours du 17e siècle, qui verra les dénonciations pour sorcellerie se transformer en poursuites pour blasphème ou injure, amorçant un mouvement vers la décriminalisation des accusations.
Illustration d'Aloïse par Hélène Becquelin tirée du livre «100 femmes qui ont fait Lausanne»